Sélection d'une édition

    Le grand feu de La Prairie

    Encore un désastre. Le village de La Prairie en cendres. Un bras de fer s’appesantit depuis quelque temps sur notre pays. Tous les jours nous avons à enregistrer des calamités, des désastres qui étaient autrefois inconnus parmi nous. Et ces calamités, ces désastres se multiplient et se succèdent les uns aux autres avec une rapidité effrayante.

    Le beau et florissant village de La Prairie est en cendres; quelques heures ont suffi pour accomplir cet acte de destruction et la ruine totale procurés sur les lieux, touchant cette affreuse catastrophe.

    Mardi soir, vers 7 heures et quart, on s’aperçut que le feu s’était déclaré au toit d’une forge située à l’extrémité sud-ouest du village près du chemin de fer. Malgré les efforts des citoyens qui étaient accourus, les flammes sortirent bientôt d’un grenier à foin qui avoisinait la forge.

    C’est alors qu’on s’aperçut du danger que courait le village entier. Le vent soufflait avec force du sud-ouest, et portait des tisons enflammés à une grande distance. En effet, le feu se déclara bientôt à une maison en bois, située à plusieurs arpents du siège de l’incendie et au milieu du village. Pour le coup, tout espoir de salut semblait perdu, et le découragement se manifesta au milieu de cette population sans expérience de ces sortes de désastres, et dépourvue entièrement de cette organisation si nécessaire dans les grandes conflagrations.

    D’ailleurs, les pompes à feu qui appartiennent au village, n’étaient pas, faute d’entretien, en état de fonctionner, et l’élément destructeur qui ne reconnaît pour ainsi dire aucune opposition et qui était attisé par le vent qui redoublait de violence à mesure que la nuit s’avançait, s’étendit sur tout le village et consuma tout ce qui se trouvait sur son chemin, à l’exception de quinze ou vingt édifices qui échappèrent comme par miracle.

    C’est ici le lieu de remarquer que la pompe qui appartient aux casernes, et qui est en très bon ordre, aurait pu être d’un grand secours; mais, il faut le dire sans déguisement, les habitants de La Prairie n’ont pas à se louer de la conduite des soldats en cette occasion. Ces hommes dont la mission est de veiller à la sûreté des citoyens ont forfait à leurs devoirs dans cette déplorable circonstance. Au plus fort du danger, la plupart des soldats étaient ivres; on les a vus enfoncer les magasins, ouvrir les vaisseaux qui contenaient de la boisson et s’amuser à boire au lieu de porter secours. On vante beaucoup la belle conduite du colonel en cette occasion. Aussi les citoyens de La Prairie n’en parlent que dans des termes de respect et de reconnaissance.

    Aussitôt qu’on s’aperçut, à Montréal, que les flammes dévastaient le village de La Prairie, une foule immense se porta sur les quais, impatiente de voler à son secours. On attendait de minute en minute l’arrivée du steamboat traversier, le prince Albert, afin d’embarquer des pompes et des bras qui auraient été d’un secours efficace. Mais le steamboat ne vint pas. Il ne faut pas blâmer l’administration des chemins de fer, car malgré le clair de lune, l’atmosphère était obscurcie par les vapeurs et la fumée, et le trajet de Montréal à la Prairie, si difficile en plein jour vu la baisse des eaux, était impraticable de nuit. D’ailleurs, le pilote, l’ingénieur et l’équipage qui habitent La Prairie, avaient déserté le vaisseau pour courir au secours de leur famille et de leurs propriétés. Il aurait été impossible au capitaine de les rallier.

    Cependant, des citoyens courageux et zélés, les capitaines des pompes de Montréal, l’Union et le Protector, ne purent contempler d’un œil indifférent le désastre qui avait lieu de l’autre côté du fleuve. Ils rassemblèrent quelques-uns de leurs hommes et engagèrent le petit steamboat Lord Stanley, pour transporter leurs pompes à Longueuil, seule route praticable de nuit pour se rendre à la Prairie. Un autre obstacle les attendait là. Ils eurent mille difficultés à se procurer des chevaux pour traîner leurs pompes. Le Herald signale un nommé McVey, de la traverse, qui avait plusieurs chevaux dans son écurie et qui refusa de les prêter ou de les louer, menaçant de tuer ceux des pompiers qui oseraient s’en emparer. Cet homme devait être marqué au front d’un stigmate de réprobation ineffaçable! Nous avons appris depuis que les pompiers se sont rendus jusqu’au village de Longueuil, où ils ont obtenu les chevaux dont ils avaient besoin.

    Malgré toutes les difficultés que les courageux pompiers eurent à rencontrer, ils arrivèrent à La Prairie, vers une heure du matin, exténués de fatigue. Mais ils furent récompensés de leurs peines, car ils arrivèrent à temps pour sauver l’église, où le feu venait de se déclarer. Ce vaste et superbe édifice, bâti tout récemment, aurait infailliblement été la proie des flammes sans le secours des pompiers, à la tête desquels était le capitaine Lyman. On nous a parlé aussi de M. Benjamin Lespérance, de Longueuil, qui est monté sur l’édifice et qui a porté le premier secours avec un seau d’eau. On ne saurait trop apprécier de semblables dévouements et en particulier celui des pompiers qui parvinrent à arrêter le progrès des flammes, car sans eux, le peu d’édifices qui restent debout auraient sans doute été réduits en cendres. Les RR. PP. Jésuites qui desservent la cure de La Prairie, ont été infatigables; ils ont été sur pied toute la nuit, excitant par l’exemple les citoyens à travailler et à ne pas perdre courage. Nous ne pouvons passer sous silence l’acte généreux du capitaine Lambert, du steamer Pioneer, qui a volontairement pris le commandement du steamer Lord Stanley avec son propre équipage (le capitaine du Lord Stanley et son équipage étaient absents), a fait embarquer les pompes avec les pompiers et autant de personnes que le steamer a pu en contenir, pour aller au secours des incendiées, et qui, ne pouvant à cause de la noirceur, monter à La Prairie, s’est dirigé vers Longueuil où il a tout débarqué sans incident.

    Malgré tous les efforts réunis, l’élément destructeur a triomphé; le beau village de La Prairie est en cendres; il ne reste maintenant de tous ces beaux et vastes édifices que quinze à vingt maisons dispersées çà et là; tout le milieu du village n’offre plus qu’un immense monceau de ruines.

    Parmi les édifices qui ont échappé aux flammes se trouvent l’église catholique, le couvent, la maison et le magasin (seul magasin qui ait été épargné) de M. Gariépy, la maison et le moulin de la succession Plante, l’ancien hôtel Duclos et quelques autres petites maisons le long du fleuve qui se trouvaient hors de la portée des flammes; le vent comme nous l’avons dit déjà, soufflait du sud-ouest.

    Il nous est impossible de donner la liste des victimes de ce terrible incendie. Le progrès des flammes a été si rapide que presque rien n’a pu échapper à leur ravage. Des meubles, des marchandises, qu’on avait transportés à une certaine distance sont devenus leur proie. Parmi ceux dont la perte est considérable, se trouvent : M. Sauvageau dont les maisons, brasserie et distillerie ont été consumées. Mm. Varin, Dupré, Dr. D’Eschambault, Hébert, Mme Denault, McFarlane, Lanctôt, Fortin, Dupuis, Gagnon et une foule d’autres personnes, dont il est impossible de donner la liste. Il suffit d’ajouter que le nombre de maisons incendiées se monte à près de 150 avec un plus grand nombre d’autres édifices, ce qui porterait la quantité de bâtisses réduites en cendres à plus de 350.

    Hier encore, après 9 heures du matin, les pompes de Montréal venant de partir, le feu se déclara de nouveau dans l’asile de la providence dont l’étage supérieur avait été détruit. Le vent soufflait encore avec force et le feu se serait bientôt communiqué à quelques vieux édifices voisins s’il n’avait été éteint de suite. On s’aperçut ensuite que tout l’intérieur d’un hangar en pierre, couvert de fer-blanc avec contrevents en tôle, était en flammes. Mais par les efforts réunis des citoyens de Montréal et de ceux de la paroisse, le feu fut bientôt éteint.

    Une foule immense se porta hier vers La Prairie : le bateau était encombré à ses deux voyages. Les uns, mus par un sentiment de devoir, allaient porter des secours et des consolations aux malheureux incendiés, tandis que d’autres ne se rendaient là que pour contempler les ruines! Du nombre des premiers, se trouvaient Monrg. De Montréal, accompagné d’un nombreux clergé, et M. le maire de Montréal, qui avait fait embarquer à bord une quantité de pain et plusieurs quarts de lard, Monseigneur, aidé des RR. PP. et de quelques citoyens, fit distribuer de suite des secours à la population indigente qui était dispersée sur la grève et dans les champs. Et vous, qui allez contempler cette scène de désolation sans répandre une larme et sans donner une obole à cette population, hier dans l’aisance et aujourd’hui dénuée de tout, vous n’avez donc pas d’entrailles?

    Cependant on nous dit qu’à la suggestion de C. S. Hodier, écr., le prix du passage au second voyage du steamboat a été augmenté de vingt sous à un écu et que le surplus était destiné aux infortunés incendiés. Cette collecte indirecte, à laquelle se sont volontiers prêtés tous les passagers, a produit une somme assez considérable.

    Hier après-midi, la Banque du Peuple a envoyé à La Prairie, un secours de 14 barils de fleur et 11 sacs de biscuits, ce qui suffira pour quelques jours à donner le strict nécessaire aux indigents.

    On estime la perte causée par cet incendie tant en propriétés qu’en marchandises de $75,0000 à $80,000.

    On espère que le maire convoquera tout de suite une assemblée des citoyens de Montréal pour aviser aux moyens de porter les premiers secours à cette population infortunée.

    Nous n’avons pu nous procurer encore des détails corrects sur les assurances effectuées sur les propriétés qui ont été détruites. Mais ce dont nous sommes certains, c’est que pas un quart de ces propriétés n’étaient assurées.

    LA MINERVE-Montréal, jeudi le 6 août 1846

    Source : Fonds Damase Rochette (Archives SHLM)

    Note : Mme Hélène Charuest, bénévole à la SHLM, a trouvé ce texte dans les archives du fonds Damase Rochette

    Encore un désastre. Le village de La Prairie en cendres. Un bras de fer s’appesantit depuis quelque temps sur notre pays. Tous les jours nous avons à enregistrer des calamités, des désastres qui étaient autrefois inconnus parmi nous. Et ces calamités, ces désastres se multiplient et se succèdent les uns aux autres avec une rapidité effrayante. Le beau et florissant village de La Prairie est en cendres; quelques heures ont suffi pour accomplir cet acte de destruction et la ruine totale procurés sur les lieux, touchant cette affreuse catastrophe. Mardi soir, vers 7 heures et quart, on s’aperçut que le feu s’était déclaré au toit d’une forge située à l’extrémité sud-ouest du village près du chemin de fer. Malgré les efforts des citoyens qui étaient accourus, les flammes sortirent bientôt d’un grenier à foin qui avoisinait la forge. C’est alors qu’on s’aperçut du danger que courait le village entier. Le vent soufflait avec force du sud-ouest, et portait des tisons enflammés à une grande distance. En effet, le feu se déclara bientôt à une maison en bois, située à plusieurs arpents du siège de l’incendie et au milieu du village. Pour le coup, tout espoir de salut semblait perdu, et le découragement se manifesta au milieu de cette population sans expérience de ces sortes de désastres, et dépourvue entièrement de cette organisation si nécessaire dans les grandes conflagrations. D’ailleurs, les pompes à feu qui appartiennent au village, n’étaient pas, faute d’entretien, en état de fonctionner, et l’élément destructeur qui ne reconnaît pour ainsi dire aucune opposition et qui était attisé par le vent qui redoublait de violence à mesure que la nuit s’avançait, s’étendit sur tout le village et consuma tout ce qui se trouvait sur son chemin, à l’exception de quinze ou vingt édifices qui échappèrent comme par miracle. C’est ici le lieu de remarquer que la pompe qui appartient aux casernes, et qui est en très bon ordre, aurait pu être d’un grand secours; mais, il faut le dire sans déguisement, les habitants de La Prairie n’ont pas à se louer de la conduite des soldats en cette occasion. Ces hommes dont la mission est de veiller à la sûreté des citoyens ont forfait à leurs devoirs dans cette déplorable circonstance. Au plus fort du danger, la plupart des soldats étaient ivres; on les a vus enfoncer les magasins, ouvrir les vaisseaux qui contenaient de la boisson et s’amuser à boire au lieu de porter secours. On vante beaucoup la belle conduite du colonel en cette occasion. Aussi les citoyens de La Prairie n’en parlent que dans des termes de respect et de reconnaissance. Aussitôt qu’on s’aperçut, à Montréal, que les flammes dévastaient le village de La Prairie, une foule immense se porta sur les quais, impatiente de voler à son secours. On attendait de minute en minute l’arrivée du steamboat traversier, le prince Albert, afin d’embarquer des pompes et des bras qui auraient été d’un secours efficace. Mais le steamboat ne vint pas. Il ne faut pas blâmer l’administration des chemins de fer, car malgré le clair de lune, l’atmosphère était obscurcie par les vapeurs et la fumée, et le trajet de Montréal à la Prairie, si difficile en plein jour vu la baisse des eaux, était impraticable de nuit. D’ailleurs, le pilote, l’ingénieur et l’équipage qui habitent La Prairie, avaient déserté le vaisseau pour courir au secours de leur famille et de leurs propriétés. Il aurait été impossible au capitaine de les rallier. Cependant, des citoyens courageux et zélés, les capitaines des pompes de Montréal, l’Union et le Protector, ne purent contempler d’un œil indifférent le désastre qui avait lieu de l’autre côté du fleuve. Ils rassemblèrent quelques-uns de leurs hommes et engagèrent le petit steamboat Lord Stanley, pour transporter leurs pompes à Longueuil, seule route praticable de nuit pour se rendre à la Prairie. Un autre obstacle les attendait là. Ils eurent mille difficultés à se procurer des chevaux pour traîner leurs pompes. Le Herald signale un nommé McVey, de la traverse, qui avait plusieurs chevaux dans son écurie et qui refusa de les prêter ou de les louer, menaçant de tuer ceux des pompiers qui oseraient s’en emparer. Cet homme devait être marqué au front d’un stigmate de réprobation ineffaçable! Nous avons appris depuis que les pompiers se sont rendus jusqu’au village de Longueuil, où ils ont obtenu les chevaux dont ils avaient besoin. Malgré toutes les difficultés que les courageux pompiers eurent à rencontrer, ils arrivèrent à La Prairie, vers une heure du matin, exténués de fatigue. Mais ils furent récompensés de leurs peines, car ils arrivèrent à temps pour sauver l’église, où le feu venait de se déclarer. Ce vaste et superbe édifice, bâti tout récemment, aurait infailliblement été la proie des flammes sans le secours des pompiers, à la tête desquels était le capitaine Lyman. On nous a parlé aussi de M. Benjamin Lespérance, de Longueuil, qui est monté sur l’édifice et qui a porté le premier secours avec un seau d’eau. On ne saurait trop apprécier de semblables dévouements et en particulier celui des pompiers qui parvinrent à arrêter le progrès des flammes, car sans eux, le peu d’édifices qui restent debout auraient sans doute été réduits en cendres. Les RR. PP. Jésuites qui desservent la cure de La Prairie, ont été infatigables; ils ont été sur pied toute la nuit, excitant par l’exemple les citoyens à travailler et à ne pas perdre courage. Nous ne pouvons passer sous silence l’acte généreux du capitaine Lambert, du steamer Pioneer, qui a volontairement pris le commandement du steamer Lord Stanley avec son propre équipage (le capitaine du Lord Stanley et son équipage étaient absents), a fait embarquer les pompes avec les pompiers et autant de personnes que le steamer a pu en contenir, pour aller au secours des incendiées, et qui, ne pouvant à cause de la noirceur, monter à La Prairie, s’est dirigé vers Longueuil où il a tout débarqué sans incident. Malgré tous les efforts réunis, l’élément destructeur a triomphé; le beau village de La Prairie est en cendres; il ne reste maintenant de tous ces beaux et vastes édifices que quinze à vingt maisons dispersées çà et là; tout le milieu du village n’offre plus qu’un immense monceau de ruines. Parmi les édifices qui ont échappé aux flammes se trouvent l’église catholique, le couvent, la maison et le magasin (seul magasin qui ait été épargné) de M. Gariépy, la maison et le moulin de la succession Plante, l’ancien hôtel Duclos et quelques autres petites maisons le long du fleuve qui se trouvaient hors de la portée des flammes; le vent comme nous l’avons dit déjà, soufflait du sud-ouest. Il nous est impossible de donner la liste des victimes de ce terrible incendie. Le progrès des flammes a été si rapide que presque rien n’a pu échapper à leur ravage. Des meubles, des marchandises, qu’on avait transportés à une certaine distance sont devenus leur proie. Parmi ceux dont la perte est considérable, se trouvent : M. Sauvageau dont les maisons, brasserie et distillerie ont été consumées. Mm. Varin, Dupré, Dr. D’Eschambault, Hébert, Mme Denault, McFarlane, Lanctôt, Fortin, Dupuis, Gagnon et une foule d’autres personnes, dont il est impossible de donner la liste. Il suffit d’ajouter que le nombre de maisons incendiées se monte à près de 150 avec un plus grand nombre d’autres édifices, ce qui porterait la quantité de bâtisses réduites en cendres à plus de 350. Hier encore, après 9 heures du matin, les pompes de Montréal venant de partir, le feu se déclara de nouveau dans l’asile de la providence dont l’étage supérieur avait été détruit. Le vent soufflait encore avec force et le feu se serait bientôt communiqué à quelques vieux édifices voisins s’il n’avait été éteint de suite. On s’aperçut ensuite que tout l’intérieur d’un hangar en pierre, couvert de fer-blanc avec contrevents en tôle, était en flammes. Mais par les efforts réunis des citoyens de Montréal et de ceux de la paroisse, le feu fut bientôt éteint. Une foule immense se porta hier vers La Prairie : le bateau était encombré à ses deux voyages. Les uns, mus par un sentiment de devoir, allaient porter des secours et des consolations aux malheureux incendiés, tandis que d’autres ne se rendaient là que pour contempler les ruines! Du nombre des premiers, se trouvaient Monrg. De Montréal, accompagné d’un nombreux clergé, et M. le maire de Montréal, qui avait fait embarquer à bord une quantité de pain et plusieurs quarts de lard, Monseigneur, aidé des RR. PP. et de quelques citoyens, fit distribuer de suite des secours à la population indigente qui était dispersée sur la grève et dans les champs. Et vous, qui allez contempler cette scène de désolation sans répandre une larme et sans donner une obole à cette population, hier dans l’aisance et aujourd’hui dénuée de tout, vous n’avez donc pas d’entrailles? Cependant on nous dit qu’à la suggestion de C. S. Hodier, écr., le prix du passage au second voyage du steamboat a été augmenté de vingt sous à un écu et que le surplus était destiné aux infortunés incendiés. Cette collecte indirecte, à laquelle se sont volontiers prêtés tous les passagers, a produit une somme assez considérable. Hier après-midi, la Banque du Peuple a envoyé à La Prairie, un secours de 14 barils de fleur et 11 sacs de biscuits, ce qui suffira pour quelques jours à donner le strict nécessaire aux indigents. On estime la perte causée par cet incendie tant en propriétés qu’en marchandises de $75,0000 à $80,000. On espère que le maire convoquera tout de suite une assemblée des citoyens de Montréal pour aviser aux moyens de porter les premiers secours à cette population infortunée. Nous n’avons pu nous procurer encore des détails corrects sur les assurances effectuées sur les propriétés qui ont été détruites. Mais ce dont nous sommes certains, c’est que pas un quart de ces propriétés n’étaient assurées. LA MINERVE-Montréal, jeudi le 6 août 1846 Source : Fonds Damase Rochette (Archives SHLM) Note : Mme Hélène Charuest, bénévole à la SHLM, a trouvé ce texte dans les archives du fonds Damase Rochette...

    Le centenaire du grand feu de Laprairie

             Cette semaine, au lieu de l’habituelle rubrique “AU FIL DE NOS SOUVENIRS”, nos lecteurs trouveront dans “Le Canada-Français”, une colonne historique d’une provenance spéciale.

             Ce n’est pas en effet à même les réminiscences de nos pages d’autrefois que nous puiserons aujourd’hui; mais dans les annales d’un journal maintenant disparu, après avoir connu une grande popularité : “LA MINERVE”.

             Il y a eu cent ans dimanche dernier, que le village de Laprairie disparaissait presque complètement sous les cendres du “Grand Feu”, selon l’expression demeurée consacrée par nos gens en parlant de ces effroyables fléaux qui affligeaient périodiquement nos populations jusqu’à ce que, – il n’y a pas encore si longtemps, – nos autorités songent à se mieux armer contre l’incendie.

             C’est grâce à l’entremise de M. Jean-Jacques Lefebvre, secrétaire de la Société Historique de Montréal, dont il nous fait plaisir de signaler ici l’initiative, que nous devons à nos lecteurs de leur offrir, cette semaine, la rétrospective centenaire de cet incendie qui avait si durement frappé Laprairie, marquant de son empreinte l’histoire de cette localité de notre région, dont l’histoire nous est particulièrement chère.

             Nous reproduisons ci-après le texte littéral paru dans “La MINERVE” du temps, obligeamment exhumé par M. Jean-Jacques Lefebvre :-

    Jean FREDERICK.

    ENCORE UN DESASTRE

    Le village de Laprairie en cendres

             Un bras de fer s’appesantit depuis quelques temps sur notre pays. Tous les jours nous avons à enregistrer des calamités, des désastres qui étaient autrefois inconnus parmi nous. Et ces calamités, ces désastres se multiplient et se succèdent les uns aux autres avec une rapidité vraiment effrayante.

    Le beau et florissant village de la Prairie est en cendres; quelques heures ont suffi pour accomplir cet acte de destruction et la ruine totale d’un grand nombre de familles. Voici quelques détails que nous nous sommes procurés sur les lieux touchant cette affreuse catastrophe.

             Mardi soir, vers 7 heures et quart, on s’aperçut que le feu s’était déclaré au toit d’une forge située à l’extrémité sud-ouest du village près du chemin de fer. Malgré les efforts des citoyens qui étaient accourus, les flammes sortirent bientôt d’un grenier à foin qui avoisinait la forge. C’est alors qu’on s’aperçut du danger que courait le village entier. Le vent soufflait avec force du sud-ouest, et portait des tisons enflammés à une grande distance. En effet, le feu se déclara bientôt à une maison en bois, située à plusieurs arpents du siège de l’incendie et au milieu du village. Pour le coup, tout espoir de salut semblait perdu, et le découragement se manifesta au milieu de cette population sans expérience dans ces sortes de désastres, et dépourvue entièrement de cette organisation si nécessaire dans les grandes conflagrations.

             D’ailleurs, les pompes à feu qui appartiennent au village, n’étaient pas, faute d’entretien, en état de fonctionner, et l’élément destructeur qui ne reconnait pour ainsi dire aucune opposition et qui était attisé par le vent qui redoublait de violence à mesure que la nuit s’avançait, s’étendit sur tout le village et consuma tout ce qui se trouvait sur son chemin; à l’exception de quinze ou vingt édifices qui échappèrent comme par miracle.

             C’est ici le lieu de remarquer que la pompe qui appartient aux casernes, et qui est en très bon ordre, aurait pu être d’un grand secours; mais, il faut le dire sans déguisement, les habitants de la Prairie n’ont pas à se louer de la conduite des soldats en cette occasion. Ces hommes dont la mission est de veiller à la sureté des citoyens, ont forfait à leurs devoirs dans cette déplorable circonstance. Au plus fort du danger, la plupart des soldats étaient ivres; on les a vu enfoncer les magasins, ouvrir les vaisseaux qui contenaient de la boisson et s’amuser à boire au lieu de porter secours. On vante beaucoup la belle conduite du colonel en cette occasion. Aussi les citoyens de la Prairie n’en parlent que dans des termes de respect et de reconnaissance.

             Aussitôt qu’on s’aperçut à Montréal, que les flammes dévastaient le village de la Prairie, une foule immense se porta sur les quais, impatient de voler à son secours. On attendait de minute en minute l’arrivée du steamboat traversier, le Prince Albert, afin d’embarquer des pompes et des bras qui auraient été d’un secours efficace. Mais le steamboat ne vint pas. Il ne faut pas blâmer l’administration de chemin de fer, car malgré le clair de lune; l’atmosphère était obscurci par les vapeurs et la fumée, et le trajet de Montréal à la Prairie si difficile en plein jour, vu la baisse des eaux, était impraticable de nuit. D’ailleurs, le pilote, l’ingénieur et l’équipage qui habitent la Prairie, avaient déserté le vaisseau pour courir au secours de leur famille et de leurs propriétés. Il aurait été impossible au capitaine de les rallier.

             Cependant, des citoyens courageux et zélés, les capitaines des pompes de Montréal, l’Union et le Protector, ne purent contempler d’un œil indifférent le désastre qui avait lieu de l’autre côté du fleuve. Ils rassemblèrent quelques-uns de leurs hommes et engagèrent le petit steamboat Lord Stanley, pour transporter leurs pompes à Longueuil, seule route praticable de nuit pour se rendre à la Prairie. Un autre obstacle les attendait là. Ils eurent mille difficultés à se procurer des chevaux pour traîner leurs pompes. Le Herald signale un nommé McVey, de la traverse, qui avait plusieurs chevaux dans son écurie et qui refusa de les prêter ou de les louer, menaçant de tuer ceux des pompiers qui oseraient s’en emparer. Cet homme devrait être marqué au front d’un stigmate de réprobation ineffaçable! Nous avons appris depuis que les pompiers se sont rendus jusqu’au village de Longueuil, où ils ont obtenu les chevaux dont ils avaient besoin.

             Malgré toutes les difficultés que les courageux pompiers eurent à rencontrer, ils arrivèrent à la Prairie vers une heure du matin, exténués de fatigue. Mais ils furent récompensés de leurs peines, car ils arrivèrent à temps pour sauver l’église, où le feu venait de se déclarer. Ce vaste et superbe édifice, bâti tout récemment, aurait infailliblement été la proie des flammes sans le secours des pompiers, à la tête desquels était le capt. Lyman. On nous a parlé aussi de M. Benjamin Lespérance, de Longueuil, qui est monté sur l’édifice et qui a porté le premier secours avec un seau d’eau. On ne saurait trop apprécier de semblables dévouements et en particulier celui des pompiers qui parvinrent à arrêter le progrès des flammes car sans eux, le peu d’édifices qui restent debout auraient sans doute été réduits en cendre. Les RR. PP. Jésuites qui desservent la cure de la Prairie, ont été infatigables; ils ont été sur pieds toute la nuit, excitant par l’exemple les citoyens à travailler et à ne pas perdre courage. Nous ne pouvons passer sous silence l’acte généreux du capt. Lambert du Steamer Pioneer qui a volontairement pris le commandement du steamboat Lord Stanley avec son propre équipage (le capitaine du Lord Stanley et son équipage étaient absents), a fait embarquer les pompes avec les pompiers et autant de personnes que le steamboat a pu en contenir, pour aller au secours des incendiés, et qui, ne pouvant à cause de la noirceur, monter à La Prairie, s’est dirigé vers Longueuil où il a tout débarqué sans accident.

    Malgré tous les efforts réunis, l’élément destructeur a triomphé; le beau village de la Prairie est en cendres; il ne reste maintenant de tous ces beaux et vastes édifices que quinze à vingt maisons dispersées çà et là; tout le milieu du village n’offre plus qu’un immense monceau de ruines.

             Parmi les édifices qui ont échappé aux flammes se trouvent l’église catholique, le couvent, la maison et le magasin (seul magasin qui ait été épargnée) de M. Gariépy, la maison et le moulin de la succession Plante, l’ancien hôtel Duclos et quelques autres petites maisons le long du fleuve qui se trouvaient hors de la portée des flammes; le vent comme nous l’avons dit déjà, soufflait du sud-ouest.

             Il nous est impossible de donner la liste des victimes de ce terrible incendie. Le progrès des flammes a été si rapide que presque rien n’a pu échapper à leur ravage. Des meubles, des marchandises, qu’on avait transporté à une certaine distance sont devenus leur proie. Parmi ceux dont la perte est considérable, se trouvent : M. Sauvageau dont les maisons, brasserie et distillerie ont été consumés. MM. Varin, Dupré, Dr. D’Eschambault, Hébert, Mme Denault, McFarlane, Lanctôt, Fortin, Dupuis, Gagnon et une foule d’autres personnes, dont il est impossible de donner la liste. Il suffit d’ajouter que le nombre de maisons incendiées se monte à près de 150 avec un plus grand nombre d’autres édifices, ce qui porterait la quantité de bâtisses réduites en cendres à plus de 350.

             Hier encore, après 9 heures du matin, les pompes de Montréal venant de partir, le feu se déclara de nouveau dans l’asile de la Providence dont l’étage supérieur avait été détruit. Le vent soufflait encore avec force et le feu se serait bientôt communiqué à quelques vieux édifices voisins s’il n’avait été éteint de suite. On s’aperçut ensuite que tout l’intérieur d’un hangar en pierre, couvert en fer-blanc avec contrevents en tôle, était en flammes. Mais par les efforts réunis des citoyens de Montréal et de ceux de la paroisse, le feu fut bientôt éteint.

             Une foule immense se porta hier vers la Prairie : le bateau était encombré à ses deux voyages. Les uns, mûs par un sentiment de devoir allaient porter des secours et des consolations aux malheureux incendiés, tandis que d’autres ne se rendaient là que pour contempler les ruines! Du nombre des premiers, se trouvaient Monrg. de Montréal, qui avait fait embarquer à bord, une quantité de pain et plusieurs quarts de lard. Monseigneur, aidé des RR. PP. et de quelques citoyens, fit distribuer de suite des secours à la population indigente qui était dispersée sur la grève et dans les champs. Et vous qui allez contempler cette scène de désolation sans répandre une larme et sans donner une obole à cette population, hier dans l’aisance et aujourd’hui dénuée de tout, vous n’avez donc pas d’entrailles.

             Cependant on nous dit qu’à la suggestion de C.S. Hodier, écr, le prix du passage au second voyage du steamboat a été augmentée de vingt et un sous à un écu et que le surplus était destiné aux infortunés incendiés. Cette collecte indirecte à laquelle se sont volontiers prêtés tous les passagers a produit une somme assez considérable.

             Hier après-midi, la Banque du Peuple a envoyé à la Prairie, un secours de 14 barils de fleur et 11 sacs de biscuits, ce qui suffira pour quelques jours à donner le strict nécessaire aux indigents.

             On estime la perte causée par cet incendie tant en propriétés qu’en marchandises de $75,000. à $80,000.

             On espère que le maire convoquera tout de suite une assemblée des citoyens de Montréal pour aviser aux moyens de porter les premiers secours à cette population infortunée.

             Nous n’avons pu nous procurer encore des détails corrects sur les assurances effectuées sur les propriétés qui ont été détruites. Mais ce dont nous sommes certains, c’est que pas un quart de ces propriétés n’étaient assurées.

     

    LA MINERVE – 6 août 1846.

             Cette semaine, au lieu de l’habituelle rubrique “AU FIL DE NOS SOUVENIRS”, nos lecteurs trouveront dans “Le Canada-Français”, une colonne historique d’une provenance spéciale.          Ce n’est pas en effet à même les réminiscences de nos pages d’autrefois que nous puiserons aujourd’hui; mais dans les annales d’un journal maintenant disparu, après avoir connu une grande popularité : “LA MINERVE”.          Il y a eu cent ans dimanche dernier, que le village de Laprairie disparaissait presque complètement sous les cendres du “Grand Feu”, selon l’expression demeurée consacrée par nos gens en parlant de ces effroyables fléaux qui affligeaient périodiquement nos populations jusqu’à ce que, - il n’y a pas encore si longtemps, - nos autorités songent à se mieux armer contre l’incendie.          C’est grâce à l’entremise de M. Jean-Jacques Lefebvre, secrétaire de la Société Historique de Montréal, dont il nous fait plaisir de signaler ici l’initiative, que nous devons à nos lecteurs de leur offrir, cette semaine, la rétrospective centenaire de cet incendie qui avait si durement frappé Laprairie, marquant de son empreinte l’histoire de cette localité de notre région, dont l’histoire nous est particulièrement chère.          Nous reproduisons ci-après le texte littéral paru dans “La MINERVE” du temps, obligeamment exhumé par M. Jean-Jacques Lefebvre :- Jean FREDERICK. ENCORE UN DESASTRE Le village de Laprairie en cendres          Un bras de fer s’appesantit depuis quelques temps sur notre pays. Tous les jours nous avons à enregistrer des calamités, des désastres qui étaient autrefois inconnus parmi nous. Et ces calamités, ces désastres se multiplient et se succèdent les uns aux autres avec une rapidité vraiment effrayante. Le beau et florissant village de la Prairie est en cendres; quelques heures ont suffi pour accomplir cet acte de destruction et la ruine totale d’un grand nombre de familles. Voici quelques détails que nous nous sommes procurés sur les lieux touchant cette affreuse catastrophe.          Mardi soir, vers 7 heures et quart, on s’aperçut que le feu s’était déclaré au toit d’une forge située à l’extrémité sud-ouest du village près du chemin de fer. Malgré les efforts des citoyens qui étaient accourus, les flammes sortirent bientôt d’un grenier à foin qui avoisinait la forge. C’est alors qu’on s’aperçut du danger que courait le village entier. Le vent soufflait avec force du sud-ouest, et portait des tisons enflammés à une grande distance. En effet, le feu se déclara bientôt à une maison en bois, située à plusieurs arpents du siège de l’incendie et au milieu du village. Pour le coup, tout espoir de salut semblait perdu, et le découragement se manifesta au milieu de cette population sans expérience dans ces sortes de désastres, et dépourvue entièrement de cette organisation si nécessaire dans les grandes conflagrations.          D’ailleurs, les pompes à feu qui appartiennent au village, n’étaient pas, faute d’entretien, en état de fonctionner, et l’élément destructeur qui ne reconnait pour ainsi dire aucune opposition et qui était attisé par le vent qui redoublait de violence à mesure que la nuit s’avançait, s’étendit sur tout le village et consuma tout ce qui se trouvait sur son chemin; à l’exception de quinze ou vingt édifices qui échappèrent comme par miracle.          C’est ici le lieu de remarquer que la pompe qui appartient aux casernes, et qui est en très bon ordre, aurait pu être d’un grand secours; mais, il faut le dire sans déguisement, les habitants de la Prairie n’ont pas à se louer de la conduite des soldats en cette occasion. Ces hommes dont la mission est de veiller à la sureté des citoyens, ont forfait à leurs devoirs dans cette déplorable circonstance. Au plus fort du danger, la plupart des soldats étaient ivres; on les a vu enfoncer les magasins, ouvrir les vaisseaux qui contenaient de la boisson et s’amuser à boire au lieu de porter secours. On vante beaucoup la belle conduite du colonel en cette occasion. Aussi les citoyens de la Prairie n’en parlent que dans des termes de respect et de reconnaissance.          Aussitôt qu’on s’aperçut à Montréal, que les flammes dévastaient le village de la Prairie, une foule immense se porta sur les quais, impatient de voler à son secours. On attendait de minute en minute l’arrivée du steamboat traversier, le Prince Albert, afin d’embarquer des pompes et des bras qui auraient été d’un secours efficace. Mais le steamboat ne vint pas. Il ne faut pas blâmer l’administration de chemin de fer, car malgré le clair de lune; l’atmosphère était obscurci par les vapeurs et la fumée, et le trajet de Montréal à la Prairie si difficile en plein jour, vu la baisse des eaux, était impraticable de nuit. D’ailleurs, le pilote, l’ingénieur et l’équipage qui habitent la Prairie, avaient déserté le vaisseau pour courir au secours de leur famille et de leurs propriétés. Il aurait été impossible au capitaine de les rallier.          Cependant, des citoyens courageux et zélés, les capitaines des pompes de Montréal, l’Union et le Protector, ne purent contempler d’un œil indifférent le désastre qui avait lieu de l’autre côté du fleuve. Ils rassemblèrent quelques-uns de leurs hommes et engagèrent le petit steamboat Lord Stanley, pour transporter leurs pompes à Longueuil, seule route praticable de nuit pour se rendre à la Prairie. Un autre obstacle les attendait là. Ils eurent mille difficultés à se procurer des chevaux pour traîner leurs pompes. Le Herald signale un nommé McVey, de la traverse, qui avait plusieurs chevaux dans son écurie et qui refusa de les prêter ou de les louer, menaçant de tuer ceux des pompiers qui oseraient s’en emparer. Cet homme devrait être marqué au front d’un stigmate de réprobation ineffaçable! Nous avons appris depuis que les pompiers se sont rendus jusqu’au village de Longueuil, où ils ont obtenu les chevaux dont ils avaient besoin.          Malgré toutes les difficultés que les courageux pompiers eurent à rencontrer, ils arrivèrent à la Prairie vers une heure du matin, exténués de fatigue. Mais ils furent récompensés de leurs peines, car ils arrivèrent à temps pour sauver l’église, où le feu venait de se déclarer. Ce vaste et superbe édifice, bâti tout récemment, aurait infailliblement été la proie des flammes sans le secours des pompiers, à la tête desquels était le capt. Lyman. On nous a parlé aussi de M. Benjamin Lespérance, de Longueuil, qui est monté sur l’édifice et qui a porté le premier secours avec un seau d’eau. On ne saurait trop apprécier de semblables dévouements et en particulier celui des pompiers qui parvinrent à arrêter le progrès des flammes car sans eux, le peu d’édifices qui restent debout auraient sans doute été réduits en cendre. Les RR. PP. Jésuites qui desservent la cure de la Prairie, ont été infatigables; ils ont été sur pieds toute la nuit, excitant par l’exemple les citoyens à travailler et à ne pas perdre courage. Nous ne pouvons passer sous silence l’acte généreux du capt. Lambert du Steamer Pioneer qui a volontairement pris le commandement du steamboat Lord Stanley avec son propre équipage (le capitaine du Lord Stanley et son équipage étaient absents), a fait embarquer les pompes avec les pompiers et autant de personnes que le steamboat a pu en contenir, pour aller au secours des incendiés, et qui, ne pouvant à cause de la noirceur, monter à La Prairie, s’est dirigé vers Longueuil où il a tout débarqué sans accident. Malgré tous les efforts réunis, l’élément destructeur a triomphé; le beau village de la Prairie est en cendres; il ne reste maintenant de tous ces beaux et vastes édifices que quinze à vingt maisons dispersées çà et là; tout le milieu du village n’offre plus qu’un immense monceau de ruines.          Parmi les édifices qui ont échappé aux flammes se trouvent l’église catholique, le couvent, la maison et le magasin (seul magasin qui ait été épargnée) de M. Gariépy, la maison et le moulin de la succession Plante, l’ancien hôtel Duclos et quelques autres petites maisons le long du fleuve qui se trouvaient hors de la portée des flammes; le vent comme nous l’avons dit déjà, soufflait du sud-ouest.          Il nous est impossible de donner la liste des victimes de ce terrible incendie. Le progrès des flammes a été si rapide que presque rien n’a pu échapper à leur ravage. Des meubles, des marchandises, qu’on avait transporté à une certaine distance sont devenus leur proie. Parmi ceux dont la perte est considérable, se trouvent : M. Sauvageau dont les maisons, brasserie et distillerie ont été consumés. MM. Varin, Dupré, Dr. D’Eschambault, Hébert, Mme Denault, McFarlane, Lanctôt, Fortin, Dupuis, Gagnon et une foule d’autres personnes, dont il est impossible de donner la liste. Il suffit d’ajouter que le nombre de maisons incendiées se monte à près de 150 avec un plus grand nombre d’autres édifices, ce qui porterait la quantité de bâtisses réduites en cendres à plus de 350.          Hier encore, après 9 heures du matin, les pompes de Montréal venant de partir, le feu se déclara de nouveau dans l’asile de la Providence dont l’étage supérieur avait été détruit. Le vent soufflait encore avec force et le feu se serait bientôt communiqué à quelques vieux édifices voisins s’il n’avait été éteint de suite. On s’aperçut ensuite que tout l’intérieur d’un hangar en pierre, couvert en fer-blanc avec contrevents en tôle, était en flammes. Mais par les efforts réunis des citoyens de Montréal et de ceux de la paroisse, le feu fut bientôt éteint.          Une foule immense se porta hier vers la Prairie : le bateau était encombré à ses deux voyages. Les uns, mûs par un sentiment de devoir allaient porter des secours et des consolations aux malheureux incendiés, tandis que d’autres ne se rendaient là que pour contempler les ruines! Du nombre des premiers, se trouvaient Monrg. de Montréal, qui avait fait embarquer à bord, une quantité de pain et plusieurs quarts de lard. Monseigneur, aidé des RR. PP. et de quelques citoyens, fit distribuer de suite des secours à la population indigente qui était dispersée sur la grève et dans les champs. Et vous qui allez contempler cette scène de désolation sans répandre une larme et sans donner une obole à cette population, hier dans l’aisance et aujourd’hui dénuée de tout, vous n’avez donc pas d’entrailles.          Cependant on nous dit qu’à la suggestion de C.S. Hodier, écr, le prix du passage au second voyage du steamboat a été augmentée de vingt et un sous à un écu et que le surplus était destiné aux infortunés incendiés. Cette collecte indirecte à laquelle se sont volontiers prêtés tous les passagers a produit une somme assez considérable.          Hier après-midi, la Banque du Peuple a envoyé à la Prairie, un secours de 14 barils de fleur et 11 sacs de biscuits, ce qui suffira pour quelques jours à donner le strict nécessaire aux indigents.          On estime la perte causée par cet incendie tant en propriétés qu’en marchandises de $75,000. à $80,000.          On espère que le maire convoquera tout de suite une assemblée des citoyens de Montréal pour aviser aux moyens de porter les premiers secours à cette population infortunée.          Nous n’avons pu nous procurer encore des détails corrects sur les assurances effectuées sur les propriétés qui ont été détruites. Mais ce dont nous sommes certains, c’est que pas un quart de ces propriétés n’étaient assurées.   LA MINERVE – 6 août 1846....