- Au jour le jour, novembre 2022
Margueritte Françoise Moreau se dévoile
Margueritte Françoise Moreau est ma première ancêtre paternelle en Nouvelle-France. En 2015, un cours de paléographie en poche, je m’attelle à une recherche exhaustive sur les faits et gestes de cette Fille du roi au parcours hors du commun. C’est ainsi que je répertorie et transcris des centaines de pages d’actes notariés, juridiques ou de l’état civil qui l’impliquent. J’ai vite compris qu’il s’y cachait des informations fort utiles pour découvrir qui était cette Margueritte.
À partir du résultat de mes recherches, de la lecture de récits historiques et de livres de chercheurs intéressés par la Nouvelle-France, j’ai rédigé deux articles pour raconter son histoire. Le premier, paru en septembre 2019 dans la revue « L’Ancêtre » de la Société de généalogie de Québec, trace le parcours de Margueritte Moreau de son départ de Paris en avril 1670 jusqu’au décès de son premier époux, Mathieu Faye dit Lafayette, en août 1695. Le deuxième article débute à cette année charnière de sa vie. Il aborde son remariage avec Jean Lefort dit Laprairie jusqu’à son décès en octobre 1718. Il paraîtra en deux parties dans la revue « L’Ancêtre » de septembre 2022 et celle de décembre 2022[1].
En tant que Fille du roi, plusieurs articles ont déjà été consacrés dans le passé à Margueritte Françoise Moreau et le sont encore aujourd’hui. Le présent texte a pour but de partager quelques données inédites, trouvées dans des documents d’archives et incorporées à mes articles. La méconnaissance de ces informations a pu conduire certains auteurs, à des interprétations incomplètes et parfois inexactes de la réalité de ma première ancêtre paternelle en Nouvelle-France.
Pour illustrer mon propos, il sera question de la captivité de Margueritte Françoise Moreau en Iroquoisie, d’un banc d’église et de son remariage avec Jean Lefort dit Laprairie.
Captivité en Iroquoisie
Lors de l’attaque de John Schuyler sur La Prairie le 4 septembre 1690, Mathieu Faye et Margueritte Moreau sont faits prisonniers et amenés en Iroquoisie. Certains textes disent que Mari Anne, fille de Margueritte et Mathieu, pourrait être née en captivité, que le couple est revenu à La Prairie en 1694 après avoir échappé à leurs ravisseurs et que Claude Faye a joué un rôle important avec la famille pendant cette période.
Que disent les documents d’archives : Tutelle et inventaire du 8 octobre 1693
Le 8 octobre 1693, Pierre Bourdeau, dans un document rédigé par le notaire Antoine Adhémar, s’adresse au bailli de Montréal[2]. Il indique qu’il est l’époux de Marie Faye, la fille de Mathieu et Margueritte Moreau. Que ces derniers ont été pris par les Iroquois le 4 septembre 1690 et qu’ils ont laissé derrière eux quatre enfants mineurs : André maintenant âgé de 15 ans, Angélique 11 ans, Jeanne 9 ans et Mari Anne 3 ans. Que depuis l’enlèvement, il pourvoit aux besoins quotidiens des enfants en plus de s’occuper de la ferme de ses beaux-parents.
Puisqu’après trois ans il est toujours sans nouvelles d’eux, il demande que soient nommés un tuteur et un subrogé tuteur aux quatre enfants mineurs et que soit délibéré ce qui doit être fait pour subvenir à leurs besoins tant pour le passé que pour l’avenir. Il requiert aussi que soit fait l’inventaire de leurs biens.
Le bailli acquiesce à ses demandes. C’est donc, en vertu de cette ordonnance, que Pierre Bourdeau comparait devant lui en après-midi[3]. Il est accompagné de Claude Faye, neveu de Mathieu Faye, Charles Denaud, qui agit comme procureur de Joseph Benard, gendre desdits Faye et Moreau, Pierre Gagnier, Claude Carron et d’autres amis de la famille.
Cette assemblée de parents et amis élit Pierre Bourdeau comme tuteur et Claude Faye comme subrogé tuteur. Ils demandent que Bourdeau puisse jouir de tous les biens laissés par Mathieu et Margueritte à condition qu’il continue de nourrir et entretenir les enfants jusqu’à l’âge de 18 ans. Enfin ils suggèrent que Bourdeau soit compensé, à même l’inventaire des biens[4] qui sera fait, pour les soins prodigués aux enfants depuis l’enlèvement.
Grâce à ces documents d’archives, nous découvrons que Mari Anne n’est pas née en captivité. Elle est venue au monde à La Prairie en 1690 avant l’enlèvement de sa mère Margueritte Moreau le 4 septembre. Ce qui permet aussi de déduire que Mari Anne, qui s’est mariée le 16 septembre 1750, était âgée de 60 ans et qu’elle avait 90 ans lors de son décès le 14 septembre 1780. Finalement, nous apprenons que c’est Pierre Bourdeau, le gendre de Mathieu Faye et de Margueritte qui s’occupe des enfants et de la ferme pendant leur captivité.
Captivité chez les Onnéiouts et retour à La Prairie en octobre 1694, une hypothèse plausible !
Mathieu et Margueritte ainsi que leur voisin Claude Aumart font partie des prisonniers amenés en Iroquoisie après l’attaque de John Schuyler le 4 septembre 1690. Dans la sentence du 22 mars 1695 prononcée par Charles Juchereau en faveur des Jésuites[5], il est inscrit que peu de temps après son arrivée dans le village des Onnéiouts, Aumart est conduit au poteau et brûlé vif par ses ravisseurs. Le père jésuite Pierre Millet, prisonnier des Onnéiouts depuis 1689, reçoit alors ses dernières volontés.
Claude Aumart habite sur le bord de la rivière Saint-Jacques, il est voisin de Mathieu Faye et Margueritte Moreau. Ils travaillaient fort probablement côte à côte dans leur champ quand ils ont été attaqués par John Schuyler. Il est donc vraisemblable qu’ils aient été capturés tous les trois par la même bande d’Iroquois et qu’ils se retrouvent prisonniers ensemble dans le même village, celui des Onnéiouts.
À la fin d’octobre 1694, l’Onnéiout Tareha, ramène en Nouvelle-France le jésuite Pierre Millet avec quelques autres prisonniers français, comme l’indique une lettre de Callière, gouverneur de Montréal[6]. C’est à ce moment que Mathieu et Margueritte réapparaissent à La Prairie alors que Mathieu agit comme parrain au baptême du premier enfant de son neveu Claude Faye, le 27 octobre 1694.
Ainsi Margueritte Moreau et Mathieu Faye auraient passé leur captivité chez les Onnéiouts et ils auraient été ramenés à Montréal, avec Pierre Millet, quatre ans plus tard, à la fin d’octobre 1694.
Un banc d’église pour Margueritte
Margueritte Moreau achète un banc dans l’église Saint-François-Xavier. Certains textes disent que Margueritte loue le premier banc de la nef, au prix de 12 livres plus 2 livres pour chaque année de location.
Que disent les documents d’archives : Greffe du notaire Guillaume Barette le 9 mai 1723 et vente du 11 juillet 1722
Le 9 octobre 1695, Margueritte Moreau, devenue veuve, rencontre le curé Louis Geoffroy et le marguillier Thomas Hébert pour acheter un banc dans l’église Saint-François-Xavier. Elle voudrait bien le premier banc de la nef, au coût de 30 livres. Mais le curé émet des réserves sur cette possibilité et il procède à la vente en respectant l’ordre des bancs déjà concédés. Margueritte débourse sur-le-champ 12 livres pour l’achat de son banc, qui est soumis à une rente annuelle de 2 livres et 10 sols. Ces informations apparaissent au greffe du notaire Guillaume Barette, dans un acte daté du 9 mai 1723[7], dans lequel il a collationné et vidimé (certifié la copie de l’acte) l’acte original de 1695 passé au presbytère de La Prairie-de-la-Magdeleine.
Le 11 juillet 1722, la vente[8], par ses petits-fils, des droits du banc que Margueritte avait acheté en 1695, confirme que ce n’était pas le premier banc de la nef puisqu’il se situait entre celui de Clément Lériger et celui de Jean Perras.
Remariage de Margueritte Moreau avec Jean Lefort dit Laprairie
Margueritte épouse en deuxième noces Jean Lefort dit Laprairie. Certains textes disent que Jean Lefort a environ 14 ans de plus que Margueritte et qu’on ignore la date précise de son décès.
Que disent les documents d’archives : naissances, mariages, sépultures
Dans l’inventaire des biens de Mathieu Faye et Margueritte Moreau, effectué le 8 octobre 1693, on mentionne dans la section Titres papiers et enseignements à l’item inventorié quatre : L’extraict baptistaux de ladite Moreau du 7ème aoust 1654/signé Gossart. On connaît donc la date de naissance de Margueritte à quelques jours près.
Dans le registre paroissial de Boucherville, l’acte de mariage de Jean Lefort dit Laprairie avec sa deuxième épouse, Marguerite Bourgy, le 14 août 1719, indique que Jean est âgé d’environ 50 ans. Ce qui veut dire qu’il est né en 1668 ou 1669.
Lorsque Margueritte Moreau épouse Jean Lefort le 21 novembre 1696, elle a 42 ans. Jean a environ 28 ans. Il a donc 14 ans de moins que Margueritte.
Au registre paroissial de La Prairie, on retrouve l’acte de sépulture de Margueritte, décédée le 16 octobre 1718, elle est donc âgée de 64 ans.
En ce qui concerne Jean Lefort dit Laprairie, son acte de sépulture est introuvable. Mais l’inventaire des biens de feu Jean Lefort et de Marguerite Bourgy[9], effectué par le notaire Barette, indique que Jean Lefort est décédé le 1er novembre 1726. L’inventaire mentionne également que la communauté doit 55 livres à l’église de La Prairie pour l’inhumation de feu Lefort et des prières. Jean Lefort a donc été enterré à La Prairie, il était âgé d’environ 58 ans.
Conclusion
Ces quelques exemples, issus de mes articles sur Margueritte Françoise Moreau, démontrent toute la richesse des données contenues dans les documents d’archives et l’importance de lire les actes originaux dans leur entièreté. Incontournables, ils sont la source première de l’information grâce à laquelle l’histoire de nos ancêtres se dévoile au fur et à mesure que nos recherches se peaufinent.
L’auteur est l’arrière… arrière-petite-fille de Margueritte Françoise Moreau et de Jean Lefort dit Laprairie.
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[1] LEFORT, Jocelyne. « L’audacieuse et courageuse Margueritte-Françoise Moreau, ma première ancêtre paternelle en Nouvelle-France », SGQ, L’Ancêtre, vol. 46, no 328, automne 2019, p. 25-38 ; vol. 49, no 340, automne 2022 et no 341, hiver 2022.
[2] BanQ. Demande de tutelle des enfants de Mathieu Faye et Margueritte Moreau, le 8 octobre 1693, Minutier d’Antoine Adhémar.
[3] BAnQ-Montréal. Tutelle des enfants de Lafayette et sa femme de La Prairie-de-la-Magdeleine, le 8 octobre 1693, TL2_1971_00_000_11577.
[4] BAnQ. Inventaire de Faye et Moreau sa femme, le 8 octobre 1693, minutier d’Antoine Adhémar.
[5] BAnQ. Biens des Jésuites, E21-S64-SS5-SSS15-D1-P221, Sentence de Charles Juchereau, en faveur des Jésuites contre la fabrique de La Prairie-de-la-Magdeleine, le 22 mars 1695.
[6] BAC. Collection C11A, vol. 13, folios 376 v, 377. Lettre de Callière au ministre, le 27 octobre 1695.
[7] BAnQ. Cession d’un banc dans l’église de La Prairie de la Magdeleine, par le curé de la paroisse, à Marguerite Moreau veuve de Mathieu Fayette, le 9 mai 1723, minutier de Guillaume Barette.
[8] BAnQ. Vente par Pierre et Dominique Bourdeau, à Pierre Roy, des droits dans un banc de l’église de La Prairie de la Madeleine, le 11 juillet 1722, minutier de Guillaume Barette.
[9] BAnQ, Inventaire des biens de la communauté de Marguerite Bourgis, veuve de Jean Lefors, de La Prairie de la Madeleine, le 23 novembre 1726, minutier de Guillaume Barette.