
- Au jour le jour, octobre 2010
Surnoms et sobriquets
Dans La Prairie d’avant la Seconde Guerre mondiale, alors que cette petite ville avait encore une certaine atmosphère de village, quelques individus étaient connus, autant et parfois plus par un surnom que par leur vrai nom.
Enfants, il nous était facile de comprendre l’origine de certains de ces surnoms : ainsi en était-il de Morveux qui affichait un nez propice à cette caractéristique et de La Patte à… qui devait s’aider d’une béquille pour marcher. Par contre, le Branleux, qui exerçait un métier qui le mettait en contact autant avec des adultes que des enfants, ne montrait aucun signe ostensible pouvant justifier ce surnom. J’appris en vieillissant qu’il aimait les jeux de cartes où on misait de modestes sommes entre copains. Ceux-ci l’avaient-ils affublé de ce sobriquet parce qu’il était hésitant à se décider lors de ces parties ? Étaient-ce ces mêmes copains qui avaient gratifié sa femme du rare surnom (du moins à La Prairie) de La Comète ? L’épithète peut s’appliquer à quelqu’un d’étonnant, de rare ou à une commère selon le cas. Le physique attrayant de la personne en cause porte à croire qu’on avait voulu souligner, en plaisantant, le bon choix conjugal de ce copain.
Pourquoi, par ailleurs, le tueur attitré de l’abattoir local était-il surnommé Moineau, un sobriquet péjoratif signifiant « vilain moineau » même quand il est ironiquement qualifié de « joli moineau ». Certains laissaient entendre qu’il pouvait provoquer des avortements clandestins à l’aide de broches à tricoter !
Crapet, un synonyme de crapaud, était un résident du Fort-Neuf affublé de ce surnom à cause de sa démarche évoquant celle de ce batracien.
Les surnoms, il y en a eu depuis longtemps à La Prairie, comme ailleurs. En voici quelques-uns relevés dans le recensement paroissial fait par le curé Bourgeault, en 1878. Le nom d’une veuve y est accompagné du surnom Le Croche associé à son défunt mari. Cela évoque une jambe croche qui affecte la démarche. Dans une autre famille où résidait un journalier de 39 ans, ce dernier est dit Boitasse, qui boite. Les données du recensement étant mises à jour quand un paroissien décédait on en déduit que Boitasse ne devait pas être un homme très heureux, car, en 1888, on le trouva pendu. On peut penser, par contre, qu’un certain Joachim était un être choyé. Le recenseur ajoute à son nom le sobriquet plutôt affectueux de Pitou-Ninnin ! Ces termes désignent, pour Pitou : enfant, fiancé ou mari, et, pour Ninnin, sont synonymes de fanfan, mon poulet, mignon.
Dans les dictionnaires on fait état de différents types de surnoms, certains se transmettant à la descendance, d’autres d’une durée limitée à une tranche de vie ou disparaissant avec elle.
Beaucoup de surnoms transmis à des descendants étaient tirés des caractéristiques d’un individu : ainsi les « dits Sans regret » ou « Sans façon ». Lépine en rapporte, entre autres, d’assez savoureux: « Antoine Bonnet dit Prettaboire, René Cruvinet dit Bas d’argent et Jacques Legendre dit Bienvivant. »
Les sobriquets sont des surnoms plutôt familiers, parfois plaisants, souvent moqueurs qui peuvent aussi être ridicules ou injurieux. Ils sont souvent attribués dans l’enfance par des compagnons d’école ou de jeu. Beaucoup commencent par un Ti (petit) : Ti-Blanc, un oncle dont la chevelure blonde était très pâle ; Ti-Rouge, un rouquin ou un fervent libéral ? Ti-Zoune était un de mes compagnons de classe. Il y a eu longtemps beaucoup de Ti-Zoune au Québec. Le comédien Olivier Guimond fils dont le père portait ce surnom le donna comme titre à une de ses pièces. Ce n’est que récemment que j’ai trouvé le sens de Zoune, un québécisme équivalent de « zizi », pénis. Comme Ti-Cul, il est employé par des grands pour rappeler à des jeunes leur infériorité évidente!
Rappelons pour mémoire deux Ti de La Prairie bien connus à l’époque. D’une part, Ti-Gris, petit de taille et grisonnant, enseignant à l’Académie Saint- Joseph sous le nom religieux de Frère Bruno. D’autre part, Ti-Mine, la servante du presbytère du temps du curé Chevalier. Son sobriquet était peut-être tiré de son prénom, mais ce n’est pas celui-ci qui en fit un petit personnage, C’est plutôt dans sa façon d’alimenter le clergé local qu’elle attira l’attention de pieux citoyens. Responsable de plusieurs tâches au presbytère il lui fallut sans doute en condenser certaines pour venir à bout de l’ensemble. Elle choisit de rationaliser la préparation des mets. Elle en préparait certains en bonne quantité pour en avoir en réserve dans la glacière pour plusieurs repas. Ce n’était pas une mauvaise idée sauf que les menus manquaient de variété et que, par exemple, certains jeunes vicaires moins portés au renoncement n’arrivaient pas à se délecter d’oeufs au miroir réchauffés. Le curé s’accommodait de ce régime, mais la chose se sut dans la communauté. Des paroissiens compatissants se donnèrent le mot sans le dire pour inviter de temps à autre ces jeunes prêtres à partager un de leurs repas de famille. Ils savaient, eux, que si un esprit est sain dans un corps sain, un corps sain demande du bon pain.
Et, pour en finir avec les Ti, évoquons le souvenir de René Lévesque, premier ministre du Québec au crâne dégarni, qualifié de Ti-Poil !
Références
Bourgeault, Florent, curé, Recensement de la population de La Prairie de la Magdeleine, 1878
Lépine, Luc, L’impact des noms de guerre militaires français sur la patronymie québécoise. www.histori.ca/prodev/article.do?id=15333
Meney, Lionel, Dictionnaire québécois français
Dictionnaire Bélisle de la langue française au Canada
Le Grand Robert de la langue française

- Au jour le jour, mai 2010
Quand l’étudiant écrivait ses manuels de science
Mon père, William Houde, a fait ses études en agronomie à l’Institut agricole d’Oka, de 1918 à 1921. Ayant pu démontrer qu’il possédait déjà les sciences fondamentales qu’on y enseignait en première année, il fut autorisé à compléter son cours en trois ans au lieu de quatre et obtint son diplôme de bachelier en sciences agricoles quelques semaines avant son vingtième anniversaire.
De ses études il avait conservé neuf livres manuscrits dont cinq subsistent. Faits de papier ligné, ils sont composés de huit cahiers de quarante pages reliés entre eux sous une couverture rigide garnie de toile avec, sur le dessus, l’emblème de l’institut et sa devise, In labore et scientia.
L’étudiant utilisait ces livres « vierges » pour y rédiger les cours dictés par certains de ses professeurs qui n’étaient pas encore parvenus à en faire une oeuvre écrite satisfaisante. Toutefois, pour la vingtaine des matières enseignées, des manuels écrits sous forme de notes de cours polycopiées étaient à la portée des étudiants.
Il faut comprendre, qu’à cette époque, l’agronomie comme science universitaire était encore bien jeune. Arrivés à Oka en 1881 pour y fonder un monastère sur un domaine qui leur fut concédé, les Trappistes s’engagèrent d’y établir une ferme modèle et de se consacrer à la formation de jeunes agriculteurs. En 1908, leur ferme école devenait l’Institut Agricole d’Oka et s’affiliait à l’Université Laval en vue d’octroyer des diplômes universitaires. Pour arriver à ces fins il fallut développer la compétence d’un corps enseignant en évolution par des stages dans des universités étrangères, en même temps que certains moines s’appliquaient à obtenir des diplômes universitaires.
Les progrès de l’IAO furent rapides. Dès 1911, trois gradués de l’Institut, les premiers agronomes formés au Québec, obtinrent leur diplôme de bachelier en science agricole (BSA) de l’Université Laval.
Dans les années 1918 à 1921, tous les professeurs n’en étaient pas encore à l’étape de confier à l’impression des notes de cours susceptibles d’être bientôt remaniées. Tout en dictant leurs notes ils pouvaient se permettre d’expliquer et de commenter au besoin tout en retenant l’idée de préciser leur pensée. Cette façon de faire exigeait aussi d’eux de s’exprimer clairement, indiquant titres et sous-titres de leurs exposés et d’utiliser au besoin le tableau noir pour mettre en évidence des termes scientifiques nouveaux ou les schémas de machines agricoles, par exemple. À l’examen des cahiers manuscrits de mon père on devine bien ces façons de procéder des professeurs.
Dans le cours de zoologie du professeur Létourneau on note une attention particulière apportée à la classe des oiseaux dont l’utilité en agriculture est surtout la destruction des insectes. Leurs espèces, souligne-t-il, dépassent le million. Faisant image, il exprime qu’ils sont nombreux comme le sable de la mer. « Leur fécondité tient du prodige ! » Par exemple, « un simple couple de bêtes à patates, si rien ne mettait obstacle à sa multiplication, donnerait, dans le cours d’un été, naissance à 60 millions d’individus. »
Si certains insectes bienfaiteurs dévorent leurs frères nuisibles, leur action est très insuffisante par rapport aux besoins. « L’auxiliaire, l’aide chargé par la Providence de chasser ces insectes, de les empêcher de prendre la prépondérance, c’est l’oiseau insectivore. Sans lui, la famine nous décimerait. »
Dans leur développement rapide les oisillons ont besoin d’une nourriture animale riche et abondante pour former les muscles qui vont actionner leurs ailes. C’est la raison pour laquelle les parents ne servent que des insectes à leurs petits. Un chercheur a compté, qu’en douze heures, deux parents oiseaux firent 426 voyages à leur nid, y apportant à la nichée 848 larves.
Proportionnellement les oiseaux insectivores adultes sont moins voraces que leurs petits, mais de par leur nombre ils assument un imposant rôle insecticide.
« Je n’exagère pas, concluait le professeur, sans les oiseaux insectivores, la famine nous décimerait. Qui donc alors oserait, à moins d’être un idiot destructeur, toucher aux nids de ces oiseaux du bon Dieu, qui égayent les campagnes de leur ramage et nous défendent contre le dévorant fléau de l’insecte. »
Ces livres écrits sous la dictée ont, pour quelque temps, servis de manuels de référence à leurs possesseurs. Certains, plus que d’autres, en même temps que transmetteurs de connaissances, nous laissent entrevoir la personnalité du docte auteur dictant son savoir.

- Au jour le jour, avril 2010
Gardien de barrière
Quand mes grands-parents Desrosiers sont arrivés de la côte Sainte-Catherine pour s’installer près du village de La Prairie leur famille comptait cinq enfants. On était au début de l’été. Le plus jeune des enfants était un bébé et les autres avaient de deux à sept ans.
Grand-père avait déjà une bonne expérience comme cultivateur, mais il n’avait pas les moyens d’acquérir une terre. Il en loue une, dite terre des syndics. Ces derniers sont les administrateurs des affaires de la commune de La Prairie. La terre longe la limite sud-ouest de la commune dont elle fait partie. D’une largeur de deux arpents, elle s’étend du fleuve, sur 25 arpents, jusqu’au rang San José. Elle est pourvue d’une grange et à son extrémité ouest, sur une partie située entre le Chemin du bord de l’eau et le fleuve, d’une modeste habitation réservée au gardien de la barrière.
Comme son nom le dit, la commune est à l’usage de la communauté des censitaires d’une seigneurie (les Jésuites) qui, sous certaines conditions, sont autorisés à y récolter du bois et à y faire paître les animaux. Les parties en prairie de la commune où le pâturage est possible sont clôturées pour éviter que les animaux n’aillent errer et se perdre aux alentours. Non loin de la maison du gardien, une barrière permet de livrer passage aux vaches lorsque leurs propriétaires les mènent au pré et les ramènent chez eux pour la traite. Cette entrée accommode surtout les premiers cultivateurs dont les terres débutent près de la limite de la commune. Ceux qui ont des taures les laissent s’y nourrir du printemps à l’automne.
En aménageant dans la modeste demeure du gardien la famille devient connue comme Les Desrosiers de la barrière. Dans son rôle de gardien grand-père veille à ce que la barrière soit en bon état et qu’elle soit bien fermée lorsqu’il le faut. Il a aussi l’obligation d’approvisionner en eau les abreuvoirs où les bêtes viennent se désaltérer, près de la barrière. Aussi souvent que cela est nécessaire, il remplit un gros tonneau d’eau puisée dans le fleuve et que son cheval tire sur un stone bob, un traîneau utilisé lors de l’épierrage d’un champ.
Elysée Choquet résume bien l’avantage du système des gardiens de barrière. Conçu pour éviter d’onéreux débours il doit être avantageux tant pour l’administration des syndics que pour le gardien de barrière pour être durable.
À son avantage, le gardien se voit accorder par bail le droit de cultiver à son profit une certaine partie de terre de la commune aux conditions ordinaires de 1 $ l’arpent (en 1903). Il a une maison à sa disposition, grand-père l’améliorera passablement, à ses frais, pendant son séjour. En contrepartie, il devra, la première année de son bail, défricher la terre de ses aulnaies, arbustes et buissons. L’année précédant la fin de son bail, après l’avoir cultivé à son gré, il s’oblige à semer l’étendue cultivée en mil et en trèfle. Il laissera ainsi un beau pré de grasses pâtures aux usagers de la commune.
Si le gardien cultive la terre assez longtemps et travaille bien il y trouve aussi son compte. Sans avoir à s’endetter et pour un loyer modeste, il peut en tirer de bons revenus tout en bénéficiant d’un logis.
À l’automne de 1922, dix-neuf ans après la signature de son premier bail et après trois reconductions, Arthur Desrosiers s’engage pour un dernier terme de cinq ans. Le 11 octobre 1922, le cahier des délibérations des syndics fait état de ce que suit : 50 arp, Boulevard Salaberry, à Arthur Desrosiers: 5 ans, $2 l’arpent, donc $100 année – Semé 3 ans, 2 ans en prairie après mil et trèfle: broussailles et cloture aux frais du loca.
Au cours de son séjour sur la terre des syndics, la famille Desrosiers s’est consacrée à la culture maraîchère. On produisait de la tomate en grande quantité. Par contrat, la plus grande partie était livrée au village à la conserverie De Gruchy. On écoulait aussi au marché Bonsecours, où on se rendait en voiture, des cargaisons de boites de tomates, de poches de patates, d’oignons et de haricots jaunes.
En bonne partie pour l’usage de la famille, on cultivait aussi du maïs, des pois, de l’ail, des navets, carottes, betteraves, choux… Les légumes qui pouvaient se conserver étaient entreposés dans la cave de la maison. Grand-mère apprêtait aussi certains légumes pour la conservation : betteraves dans le vinaigre, cornichons salés, ketchup et autres.
Six ou sept vaches permettaient de répondre amplement aux besoins de la famille en lait, crème et beurre. Le beurre non requis pour la consommation familiale était vendu au village au magasin Rother de la rue Saint-Louis. Un poulailler comptait une quarantaine de volailles dont quelques pintades et une oie destinée au plat de résistance du jour de l’An. On engraissait aussi quelques cochons dont on fumait les cuisses et les épaules.
En somme, on vivait plutôt bien sur la terre des syndics, à peu de distance du village avec son église, ses écoles, ses magasins bien garnis, quelques parents et amis et même, au cours des années vingt, durant la saison estivale son cinéma en plein air dans la cour de Paul Hébert sur la rue Saint-Ignace.
En 1927, vingt-quatre ans après qu’on se soit rapproché du village, on vint y vivre. Animaux, équipement agricole et tout ce qui serait désormais inutile furent vendus à l’encan. Comme pour plusieurs cultivateurs qui avaient trimé dur dans la force de l’âge le temps était venu de s’adonner à des tâches physiquement moins exigeantes tout en pouvant se permettre une vie sociale enrichie.
Références
Choquet, Elysée, Les communes de La Prairie, Imprimerie du Sacré-Coeur, 1935

- Au jour le jour, février 2010
Quand on reconnaissait une belle écriture par un diplôme
Au temps où Viviane Desrosiers a étudié au Couvent de La Prairie, de 1917 à 1926, on accordait une attention particulière à l’enseignement de l’écriture. Le Couvent, établissement scolaire privé pour filles, était une institution des religieuses enseignantes de la Congrégation de Notre-Dame. À l’époque, l’enseignement y était prodigué de la première à la neuvième année.
Si l’enseignement de l’écriture y était bien soigné, cela tenait en partie au fait qu’une religieuse de la congrégation, Soeur Sainte-Marie-Archange, avait publié, en 1911, une Méthode d’enseignement du système éclectique d’écriture, un ouvrage réédité à quelques reprises. Dans une édition de 1921, l’auteur indique que le système « réunit tout ce qu’offrent de meilleur les différents systèmes répandus un peu partout depuis quelques années. »
Le système éclectique met l’accent sur deux aspects fondamentaux d’un bon apprentissage : des techniques d’ordre physique et un climat d’apprentissage encourageant.
Au plan technique se retrouvent d’une part, par exemple, l’utilisation de feuilles détachées à réglure spéciale et, d’autre part, le développement de gestes précis favorisant la maîtrise de l’acte d’écrire : position du corps, tenue du papier, tenue et qualité de la plume ou du crayon, mouvements du bras permettant de maîtriser ceux de la main et des doigts et le rythme des exercices dans un temps déterminé.
« Pour stimuler la motivation de ses élèves, la maîtresse doit donc, avant tout, se mettre à leur portée et proportionner les premiers exercices à leur âge et à leur intelligence. » Là où il y a un défaut d’exécution, l’enfant doit être aidé à en voir clairement la cause et les moyens de le corriger. Cela s’avérera plus facile aux élèves d’une classe où le climat entourant les premières leçons aura fait aimer les exercices d’écriture.
Le développement de la qualité de l’écriture se poursuivait au couvent tout au long de la durée des études des élèves. « Afin d’exciter leur émulation et de stimuler leur ardeur au travail, des diplômes étaient décernés à la fin de chaque cours à celles qui avaient subi avec succès un examen de capacité. »
Ces diplômes étaient les suivants : Diplôme élémentaire 1 et 2 et final. Le DIPLÔME FINAL était octroyé aux élèves ayant terminé le Cours complémentaire du Système Éclectique d’Écriture et ayant acquis une écriture expédiée (un genre d’écriture courante) non seulement lisible, mais rapide et élégante. Les prétendantes à ces diplômes devaient constituer un dossier de leur travail et le faire parvenir avec une formule de demande à la Directrice générale des Études de la Congrégation de Notre-Dame, à Montréal. Les diplômes étaient payables d’avance.
Probablement fait pour être encadré, l’original du diplôme reproduit ici mesure 53 X 43 cm et porte, sur cire rouge, le sceau de la Congrégation de Notre-Dame.
Dans les années 1970, le Québec fut entraîné par un courant nouveau. On délaissa l’écriture cursive pour l’écriture scripte. « Depuis, la majorité des enfants apprennent encore à écrire en lettres détachées en première année avant d’apprendre à écrire en lettres attachées, en 2e et 3e années. La majorité revient cependant à l’écriture scripte en 4e année. (Infobourg)
« De plus, à l’exception de l’Université Laval, aucune faculté des sciences de l’éducation n’enseigne la tenue du crayon, la gestion de l’espace graphique et les principes élémentaires du geste d’écriture… Les enseignants n’ont donc aucune notion de graphomotricité lorsqu’ils arrivent en classe. »
À notre époque où la rédaction de textes et la correspondance entre individus se font de plus en plus à partir du clavier d’un ordinateur, une belle écriture conserve-t-elle encore sa valeur ? Pourrait-t-on encore dire en parlant de l’écriture d’une personne : « Quelle belle main ! »
Références
Soeur Sainte-Marie-Archange, CND. Méthode d’enseignement du système éclectique d’écriture, Congrégation de Notre-Dame, Montréal, 1921.
Martine Rioux. Le plaisir de bien écrire, www.infobourg,com/editorial, 23 avril 2008.

- Au jour le jour, janvier 2010
Marchands ambulants et gypsys
Cela se passait au début du vingtième siècle alors que mes grands-parents Desrosiers demeuraient à la campagne, là où se termine le boulevard Salaberry.
Grand-mère le voyait arriver, au moins une fois par année, avec son gros sac à dos. En l’apercevant, elle protestait contre cette visite : « V’là le petit vendeur ; j’ai besoin de rien. » En fait, elle lui achetait toujours quelque chose. Il était poli; il frappait à la porte et demandait s’il pouvait entrer et montrer sa marchandise. C’était un immigré, probablement dans la quarantaine, portant moustache et barbiche. Le teint légèrement foncé, il s’exprimait assez bien en français, mais avec un fort accent.
Il transportait sa marchandise dans une valise assez particulière, faite d’une toile grise cirée et munie de courroies de cuir qui lui permettaient de la porter commodément comme sac à dos. Il en dépliait les panneaux en plusieurs côtés sur la table de la cuisine, étalant ainsi un ensemble surprenant de marchandises. Grand-mère, économe, ne se laissait pas tenter par les objets dont elle n’avait pas besoin. Elle n’achetait que ce qu’elle jugeait utile : de bons chaussons à 25¢ la paire, parfois un grand mouchoir rouge avec pois blancs que grand-père s’attachait autour du cou quand il allait travailler aux champs et, à l’occasion, quelques mouchoirs blancs et des débarbouillettes.
Quand il la voyait hésiter devant ce qu’il lui proposait, il lui disait : « Toé, madame, té capable de m’acheter ça ! » Puis, faisant appel à sa générosité, il ajoutait : « Moé, j’su pauvre. T’en a de l’argent dans ton portefeuille. »
Ces marchands ambulants, on les appelait des peddlers (peddler = colporteur). Ils faisaient assez bien leur affaire et, en général, avaient des prix corrects. Voyageurs à pied en début de carrière, certains prospéraient assez pour revenir faire la tournée de la clientèle en voiture traînée par un cheval et avec un stock beaucoup plus diversifié.
À l’époque où les garçons de la famille fréquentaient l’Académie Saint-Joseph passa l’un de ces marchands qui vendait des habits. Grand-mère en acheta pour deux de ses garçons. Ils étaient vert foncé. Les jeunes furent bien fiers de les étrenner pour aller à l’école. En fin d’après-midi, revenant chez eux par le chemin du bord de l’eau, ils furent surpris par une averse. Avec comme conséquence, que mouillés de la sorte, les pantalons qui, à l’aller leur descendaient à la cheville, rétrécirent et leur remontèrent aux genoux.
Cet événement est resté mémorable et on se plaisait dans la famille à le rappeler quand on avait le goût de rigoler. Emmanuel, devenu adolescent, aimait déjà inventer des histoires à partir de faits vécus. Pour rendre celle-ci plus drôle, il la transformait en racontant que, sous l’effet de l’averse, le pantalon de l’un avait effectivement rétréci jusqu’au dessous du genou, mais que, par contre, celui de l’autre avait pris assez de longueur pour traîner sous ses talons. Et, à sa mère qui n’avait pas apprécié de se faire flouer par ce marchand, il énonçait comme conseil, dans le langage de l’adolescent qui veut s’affirmer comme un homme, « la mère, fais-toi pas amancher (rouler) par des ras-le-… ! » Ces derniers êtres étant, bien entendu, les colporteurs dont il faut se méfier.
Une ou deux fois par an, au printemps et à l’automne, des gipsys s’arrêtaient pour quelques jours sur le bord de la grève, près du chemin d’en bas, à environ deux arpents de la demeure des Desrosiers. Ces itinérants étaient peut-être en route vers le sud, à l’automne, et devaient en revenir, au printemps. Leur groupe de sept à huit personnes voyageait dans une grande voiture couverte d’une bâche de toile que tiraient deux chevaux. Ils dressaient deux tentes où ils dormaient la nuit. Ils mangeaient assis dans l’herbe, à proximité du petit feu sur lequel ils faisaient cuire leurs repas. Quand la température le permettait, certains se baignaient dans le fleuve.
Presque à chacun de leurs passages, ils venaient à la maison et demandaient à acheter une volaille. Grand-père les amenait avec lui au poulailler. Ils y choisissaient le volatile qui leur convenait et en payaient le prix demandé. Grandmère les recevait toujours civilement et conversait avec eux, mais, en son for intérieur, ne leur faisait pas trop confiance. Elle les soupçonnait de revenir à la dérobée, le soir venu, et de voler une autre volaille. La chose était envisageable, car le poulailler était de l’autre côté du chemin et il y avait là un tas de fumier derrière lequel on pouvait passer en se dissimulant.
Son époux ne leur prêtait pas ces mauvaises intentions. « C’est des pauvres gens, disait-il, c’est du vrai monde ». Il entendait par cette remarque que même si ces nomades étaient des étrangers dont on ne connaissait pas l’origine, ils étaient des humains comme les autres et qu’il convenait de les considérer et traiter comme tel.
Ces gipsys qui s’arrêtaient quelques jours près de chez grand-père ne montraient pas d’indice de leur gagne-pain. Habituellement, ces gens en avaient un. En fait, ils étaient assez souvent des maquignons, reconnus et attendus dans des villages où ils avaient l’habitude de faire des affaires. Dans ce cas, ils y venaient camper pour quelques jours avec quelques chevaux attachés derrière leur véhicule. Les intéressés se présentaient pour examiner les bêtes. On questionnait, on discutait, on s’entendait sur un prix. Parfois, on procédait à un échange ou on leur vendait une bête. D’autres de ces gitans parcouraient les campagnes pour vendre des objets qu’ils fabriquaient de façon artisanale ; souvent des objets en osier. Le commerce pouvait se faire sur le mode du troc : objets contre aliments tels que des oeufs, des légumes ou des fruits.

- Au jour le jour, novembre 2009
Les home children
Au lendemain de la guerre de 1914-1918, la famille de grand-père Desrosiers accueillit un jeune garçon venu d’Angleterre. Il s’appelait Ernest Banford. À la même époque, un autre garçon du nom de Gibb arrivait chez Émile Raquepas.
Depuis longtemps, le gouvernement canadien encourageait l’immigration d’agriculteurs britanniques sur son territoire. En 1903, dans le but d’accroître davantage l’arrivée de ces ressortissants au pays, il établit, à Londres, un bureau d’émigration bien situé qui ouvrit la voie à cet accroissement. Un grand nombre de Britanniques, tant nantis que pauvres, répondirent à l’appel. La plupart des immigrés pauvres arrivés avant la guerre y vinrent avec leur famille, mais un nombre impressionnant étaient seuls. Parmi ceux-là, des milliers de jeunes garçons et filles n’étaient pas accompagnés d’un adulte, membre de leur famille, à leur arrivée. Les garçons, une fois ici, devenaient des apprentis ouvriers agricoles, et les filles étaient envoyées dans des petites villes et des foyers ruraux pour y travailler comme domestiques.
On les appelait les home children, soit les jeunes des taudis, des hospices ou des maisons de correction et des écoles paroissiales donnant asile aux pauvres, et envoyés au Canada – et dans d’autres colonies britanniques – pour répondre à la demande sans cesse croissante de main-d’oeuvre bon marché dans les fermes canadiennes, et pour servir de domestiques dans les foyers.
Nombre de ces jeunes, la plupart d’entre eux âgés de 8 à 10 ans, provenaient de familles urbaines pauvres qui ne pouvaient s’en occuper adéquatement. D’autres enfants, peut-être le tiers, étaient des orphelins, alors que le reste était des jeunes fugueurs ou des enfants abandonnés. À une époque où peu d’émigrants britanniques étaient contraints au travail forcé une fois rendus à destination, presque tous ces enfants immigrants devenaient des apprentis peu de temps après leur arrivée au Canada.
L’accueil d’enfants britanniques orphelins et pauvres avait débuté vers 1830. Le mouvement des home children se structura vraiment vers 1868. Des activistes entreprenants, désireux de sauver des enfants qui vivaient dans des conditions pitoyables, lancèrent différents programmes d’émigration juvénile. Ils croyaient que l’émigration était un moyen efficace de sauver ces jeunes parmi les plus pauvres et provenant des districts les plus peuplés des villes grouillantes de Grande-Bretagne. Dans les fermes canadiennes, loin des tentations et de l’air pollué de la ville, leurs protégés deviendraient des adultes travailleurs et en santé. C’est ce qu’on croyait.
Ce fut sans doute souvent le cas. Pour ces enfants transplantés dans cet autre pays aux grands espaces remplis d’air pur, coupés des liens familiaux, même très ténus et imparfaits, la terre promise ne s’est pas toujours avérée un éden. Suite à la découverte d’un certain nombre d’enfants gravement maltraités sur des fermes et au suicide de quelques-uns, la Direction générale de l’immigration adopta, en 1925, un règlement interdisant aux sociétés d’immigration volontaire d’amener des enfants de moins de 14 ans au Canada. Le programme d’immigration de longue durée prit fin abruptement en 1939. Entre autres raisons, parce que l’opinion des Canadiens et des Britanniques avait évoluée. De part et d’autre de l’Atlantique, on ne tolérait plus l’idée que des organismes philanthropiques séparent des jeunes de leurs parents et les envoient travailler dans des terres lointaines, aussi saines soient-elles.
Le jeune Banford accueilli chez les Desrosiers était un beau garçon aux cheveux d’un blond pâle. Il couchait sous les combles avec les garçons encore présents à la maison. Grand-mère qui avait de l’affection pour lui prenait soin de le bien nourrir. Il souffrait toutefois, malheureusement, d’une affection chronique fort désagréable pour l’entourage, le catarrhe puant. On désignait autrefois par ce terme une inflammation de la muqueuse nasale, de la gorge et des bronches, déterminant une hypersécrétion des muqueuses. Dans le cas d’Ernest, les abondantes sécrétions coupaient littéralement l’appétit de ceux qui mangeaient près de lui. Le Docteur Dubuc, du village, s’avéra impuissant à remédier à cette affection. Après plus d’un an, on dut se résigner à se séparer de ce jeune qui retourna dans son pays. Si ce départ soulagea quelqu’un, personne n’en fut heureux et des coeurs furent sincèrement peinés.
Source internet :
Young immigrants to Canada
Ernest Banford

- Au jour le jour, octobre 2009
Emilien Audette, dit Pacaud
Cette phrase est tirée d’un court texte d’Emmanuel Desrosiers paru dans le journal Le Patriote, le 17 mai 1934, sous le titre de Un des héros de Laprairie.
Un article publié auparavant dans La Presse du 4 août 1928 avait précisé ce que furent ces sauvetages. On y rappelle deux faits particuliers survenus quarante ans plus tôt, en 1888. À cette époque, Emilien Audette, alors dans la vingtaine, était gardien du club de natation de La Prairie. Le lieu qu’il surveillait, dans la baie de La Prairie, attirait chaque été quantité d’amateurs de canots.
Le 8 août 1888, vers 19h30, le bateau reliant Montréal à La Prairie arrive au quai. La vague qu’il produit fait alors chavirer une embarcation où se trouvaient deux femmes et deux hommes. Témoin de l’événement, Audette plonge et rejoint les «deux demoiselles qui déjà enfonçaient». Il les ramène à terre et retourne chercher leurs deux compagnons.
Cette action d’éclat, précédée de bien d’autres dont le journal nomme les rescapés permet d’attribuer à M. Audette une cinquantaine de sauvetages.
Ses concitoyens jugent alors qu’il mérite d’être récompensé par une décoration et organisent une fête en son honneur. On n’en connaît pas actuellement la date précise, mais l’article de La Presse rapporte «que cette année-là, la mairesse, Mme Thomas Brisson, épingla la médaille d’honneur sur la poitrine du héros en présence d’une foule immense qui avait envahie Laprairie.»
En 1928, quarante ans plus tard, pour renouveler à M. Audette leur appréciation, ses concitoyens lui offrent un banquet à l’hôtel Montréal de la rue Du Boulevard. Dans son texte de 1934, E. Desrosiers énumère certaines des personnalités qui y assistèrent: les députés provincial et fédéral, le juge Arthur Brossard, le Dr Joseph-Moïse Longtin, maire de Laprairie, le Dr Thomas Brisson, le Dr L. Dubuc, Me Julien Brisson et plusieurs autres.
Le journaliste qui a rédigé l’article de La Presse du 4 août 1928 indique en le concluant qu’il a rencontré Emilien Audette. Il mentionne également que beaucoup de temps après 1888 il se fit élire comme échevin et fut l’un des parrains de la charte de La Prairie.
Dans un texte non publié, ni daté, mais de toute évidence postérieur à 1928, Emmanuel Desrosiers raconte une visite à M. Audette. Il le désigne comme « un citoyen de coeur tout en étant très original » et mentionne que les gens de La Prairie le surnomment plus communément « Pacaud ». Le visiteur est bien accueilli par son hôte. « Il vous faut visiter sa maison de fond en comble et vous n’arrivez pas à causer de ce qui vous amène car Pacaud est un humble. Dès le seuil, écrit-il, M. Audette vous prend et ne vous laissera pas. Ce qui frappe d’abord c’est un grand portrait au crayon de Laurier, portrait qui prend tout un pan de mur, un autre de Mercier, puis d’autres encore. Ses sauvetages étaient pour lui chose naturelle. Il rappelle ce qui s’est passé; toutefois, sa discrétion est telle qu’elle nous oblige à consulter la filière de La Presse du temps afin de compléter notre récit ».
Il ne semble pas que cette consultation, si elle a eu lieu, ait été fructueuse.
Aujourd’hui, la date de la grande fête lors de laquelle M. Audette fut décoré nous demeure toujours inconnue, de même que son ampleur réelle et la participation de personnalités du temps venues d’en dehors de La Prairie.
P,-S. Je remercie Mme Patricia McGee qui a exploré les archives de la SHLM et y a trouvé des photocopies de textes de La Presse de 1928 concernant M. Audette ; également M. Gaétan Bourdages qui a consulté les procès-verbaux du conseil municipal de La Prairie pour les années 1888 et 1928, mais sans rien y trouver sur le présent sujet. Ma propre consultation sur microfilms des éditions de La Presse du 4 août 1928 à décembre 1928 s’est aussi avérée infructueuse. Un lecteur de Au jour le jour connaîtrait-il les données qui nous manquent ?
« Un homme de coeur qui a risqué sa vie une cinquantaine de fois pour sauver celle des autres. »

- Au jour le jour, juin 2009
Toponymie : rue Houde
Fils de Philippe Houde et Alexandrine Laurent, William Houde est né à Louiseville le 3 juillet 1901. Suite à ses études académiques et commerciales à l’Académie de Louiseville il entreprend un cours d’agronomie à l’institut agricole d’Oka pour en graduer comme bachelier en agriculture de l’Université de Montréal, en 1931.
De 1921 à 1926 il est attaché au ministère de l’Agriculture du Québec à divers titres : instructeur agricole, agronome adjoint des comtés de Matane et de Gaspé-Nord ; officier en grandes cultures pour le district de Montréal et, inspecteur de fermes de démonstration dans les districts de Lotbinière et Gaspé.
En 1925, il épouse, à La Prairie, Colombe Desrosiers, fille d’Arthur Desrosiers et de Pacifique Demontigny. Naîtront de cette union Laurent, Claudette et Normand.
De 1926 à 1931, il est agronome officiel du comté de Drummond. En 1931, il laisse le ministère de l’Agriculture et devient gérant des ventes de la division des fertilisants de la Canadian Industries Limited pour le Québec et l’est de l’Ontario. La même année il devient résident de La Prairie.
Au cours des ans il démontre un sens civique actif comme commissaire d’école, de 1938 à 1950, comme membre fondateur et premier président de la Chambre de commerce de La Prairie, en 1943, et comme échevin de la Ville de La Prairie, en 1946. C’est à ce dernier titre qu’il a été particulièrement impliqué dans le processus d’achat des terrains de la Commune et dans l’orientation de leur développement.
En 1943, il contribue à l’installation d’une nouvelle industrie à La Prairie : la Cie Ferdon Ltée est une entreprise de déshydratation de légumes destinés à l’alimentation des forces armées outre-mer. Il y est impliqué à titre d’actionnaire et d’administrateur avec comme fonction principale de recruter, conseiller et surveiller la production d’agriculteurs de la région engagés par contrat à livrer leurs récoltes à la nouvelle usine. Peu après la fin de la guerre, l’usine sera réorientée dans la production de légumes surgelés.
Membre impliqué au sein de la Corporation des agronomes du Québec depuis sa fondation, en 1937, William Houde en est élu président en 1944.
Toujours en poste à la Canadian Industries Limited depuis 1931, il la quitte en 1948. L’année suivante il fonde la Cie William Houde Ltée et construit à La Prairie son usine de fabrication d’engrais chimiques. Il a dirigé cette compagnie jusqu’à sa retraite. Il a ensuite fait partie de son conseil d’administration jusqu’à son décès, à La Prairie, en 1981.
En refaisant à vol d’oiseau le trajet de cet homme très humain on retient de lui le désir de se réaliser, l’attrait pour le travail, la persévérance, la capacité de s’adapter à des conditions changeantes, une ouverture d’esprit et l’acceptation de l’autre. Profondément attaché à tous les siens, généreux de sa personne, attiré par la nature, cultivant son propre potager, aimant la chasse au gibier ailé, amateur de bonne table, on le percevait aussi comme doux et honnête. Un ensemble de traits qui complétaient son esprit d’entreprise.

- Au jour le jour, mars 2009
Quand elle avait dix ans
On est en 1920, au couvent des Soeurs de la Congrégation de Notre- Dame, près de l’église. Une jeune écolière externe demeure trop loin du couvent pour aller prendre son repas du midi chez elle. Les quatre ou cinq fillettes qui sont dans cette condition ne sont pas autorisées à manger au réfectoire avec leurs consoeurs pensionnaires. On leur assigne un coin, dans la salle de lavage du couvent, où il y a une grande table.
Avec le sandwich préparé par sa mère, chacune a apporté son verre pour boire de l’eau. Pour compléter le menu, elles peuvent se procurer un bol de soupe à la cuisine pour la somme de 3 cents. La religieuse de la cuisine rappelle chaque fois de bien rapporter bol et cuillère après le repas.
Maman prépare de bons sandwichs, mais, parfois, elle n’a pas le temps d’en faire ou n’a pas ce qu’il faut sous la main. Elle donne alors la monnaie qu’il faut à sa fille et lui dit : «Passe chez Demers & McGee et achète-toi pour 10 cents de biscuits Village. » Pour notre écolière, il s’agit là d’un régal particulier.
Si tel était le cas, un certain jour, elle serait de meilleure humeur quand elle retourne en classe après la récréation du midi. En effet, une tâche qui lui déplait l’y attend. C’est à son tour d’indiquer dans son Cahier de mémoire celles de ses consoeurs qui auront parlé dans des moments où c’est défendu de le faire.
Dans ce petit carnet de 3 par 5 pouces elle a écrit le nom de ses compagnes de classe sous la rubrique intitulée Parleuse. Chaque fois que l’une d’elles enfreint la règle, elle doit cocher la présence de l’infraction à la suite de son nom. Cela devient embêtant lorsqu’il s’agit d’une amie ! Sur la page conservée du cahier sont identifiées trois élèves ayant transgressé la règle du silence.
La journée pourrait se bien terminer quand, le jour du recensement des parleuses, la mère de notre écolière est venue au village et accompagne sa fille pour le retour à la maison. En effet, une fois par semaine, maman marche son mille, à pied, sur le chemin de terre du bord de l’eau. Elle va alors causer avec la femme de son frère, tenancier d’un hôtel de la rue Sainte-Marie.
Certes, retourner à la maison avec maman est plaisant. Ce qui l’est davantage, c’est l’arrêt au petit magasin de M. Mailloux, situé du côté est de la rue Saint-Ignace, un peu avant d’arriver à la rue Saint-Louis, aujourd’hui disparue.
Que maman est gentille lorsqu’elle ne se fait pas prier et achète pour sa fille un petit sac de papier brun rempli de bâtonnets de bonbon, si délicieux à sucer ! Cela a dû faciliter l’oubli d’un sentiment peu agréable ressenti quand on tient à conserver la considération tant de l’autorité que celle de ses camarades. Plus de quatre-vingts ans plus tard, quand l’écolière d’autrefois nous a fait part de l’usage du cahier de mémoire à propos des parleuses, elle a mis l’accent sur les faits. Pour elle, ce fait et bien d’autres situations d’alors, « c’était comme ça dans le temps ».

- Au jour le jour, janvier 2009
Il avait aussi un champ de blé d’inde…
C’était l’été, dans les années 1930.
Pour s’amuser, on jouait à la cachette ; ce que les enfants d’aujourd’hui appellent cache-cache.
Le terrain de jeu comprenait le voisinage de la rue Saint-Laurent, entre la rue Saint-Georges et le chemin de Saint-Jean. L’activité entraînait habituellement des incursions en divers lieux privés et, parfois, des réactions de leurs propriétaires. La plupart de nos voisins, du moins ceux qui avaient des enfants, s’accommodaient assez bien de notre passage sur leur territoire.
L’un d’eux, nous l’appelions Baptiste, nous inspirait un respect craintif. Il oeuvrait dans le domaine funéraire et habitait sur la rue Saint-Georges, à l’ouest de la rue Saint-Laurent. Derrière le lot où se trouvaient sa maison et une couple de remises, il possédait une bande de terrain basse et ombragée de petits arbres où les pluies laissaient des mares lentes à se résorber. Clôturé de broche à poules, cet espace rectangulaire longeait l’arrière des maisons de ses voisins et se terminait à la rue Saint-Laurent. Peu attrayant pour une cachette à cause de la boue, l’endroit servait de basse-cour pour des poules et des canards.
Par contre, notre homme possédait un autre terrain, peu clôturé, fort propice au jeu de cache-cache quand arrivait le mois d’août. À cette époque, le quadrilatère délimité en longueur par les rues Saint-Georges et Capitale et, en profondeur, par les rues Saint-Laurent et Notre-Dame n’était bâti que de deux résidences, à son extrémité ouest, rue Saint-Georges. Ce champ, en baissière par rapport à la rue Saint-Georges, appartenait en majeure partie à notre sujet. Il y semait du maïs qui, arrivé à une certaine hauteur, constituait une jungle des plus attrayantes pour se dissimuler. Le propriétaire réalisa, il va sans dire, l’attrait que son champ exerçait sur nous. Il décida de surprendre les intrus qui s’y aventuraient.
Un jour, au moment où nous nous faufilions quelques-uns entre les rangs de plants, on l’entendit soudain crier, tout près : « Attends que je t’attrape mon petit sacripant. » On n’eut pas besoin de le voir pour détaler en vitesse. On prit conscience qu’il se déplaçait, évidemment pour nous poursuivre, mais il ne se montra pas à découvert. Ce faisant, les intrus purent croire qu’ils n’avaient pas été identifiés.
Je compris plus tard sa psychologie. Il n’avait nul besoin de nous attraper ni de venir souvent surveiller son champ de maïs. À nos yeux il devint vite l’imprévisible, celui qu’on ne voit jamais venir et dont on ne connaît pas l’heure. La cachette idéale où le compagnon de jeu n’avait que peu de chance de repérer ses partenaires se transforma en lieu périlleux. On réfléchit un moment pour trouver un bon moyen de déceler à l’avance sa présence pour conclure que cela serait bien compliqué, car le personnage nous paraissait fort astucieux. Mieux valait s’abstenir, sauf durant des funérailles où notre homme était de service. Mais là ? Ça ne concordait pas nécessairement à nos possibilités ou désirs du moment.
Ce génie de la surveillance in absentia nous imposait le respect, tant pour ce talent que pour d’autres attributs. Nous sentions qu’en fait il aimait les enfants, car il en avait deux lui-même. S’il avait une pointe de malice dans l’oeil quand nous le rencontrions, nous étions portés à penser que c’était par amusement. À l’occasion de rencontres inopinées il aimait nous mettre à l’épreuve en nous posant des questions embêtantes ou en passant des remarques désarçonnantes sur nous-mêmes ou sur nos parents. C’était un pince-sans-rire.
C’est, toutefois, dans son rôle d’embaumeur qu’il nous impressionnait le plus. À cette époque, il était coutume d’exposer les morts chez eux. Pour ceux à qui la chose ne convenait pas, il offrait un salon funéraire dans son propre domicile. Il préparait les dépouilles dans l’un des bâtiments derrière sa maison. Personne n’aurait osé aller dans la cour quand il y avait un mort sur les lieux. Si d’aventure nous passions alors dans les parages, nous arrêtions sur le trottoir et nos yeux se fixaient sur la porte du local mystérieux, chargés d’interrogations, voulant et ne voulant pas savoir. À l’occasion, il en sortait et surprenait nos regards. Nous étions plus à l’aise si, en réponse à ces interrogations silencieuses, il demeurait imperturbable. S’il parlait, il ne faisait qu’éveiller en nous quelque doute torturant. Il nous troublait surtout lorsque, ne disant mot, il se contentait d’esquisser un sourire. Ce sourire en était sans doute un de compassion, mais nous le ressentions comme exposant notre faiblesse, notre angoisse et notre ignorance face au mystère de la vie et de la mort. Il accentuait pour nous le contraste entre notre peur diffuse face à cette fatalité et la maîtrise avec laquelle il l’affrontait dans la réalité.
Quand on est enfant et qu’on sait peu, l’imagination peut facilement se débrider à l’égard de celui dont le métier secret intrigue ? En fait, il n’y avait rien de menaçant chez cet homme. À preuve, il pouvait agir amicalement rassuré par un geste de connivence. J’assistais un jour, sur le trottoir du chemin de Saint-Jean, au passage d’un cortège funèbre qu’il dirigeait. Vêtu de la redingote noire et du pantalon gris foncé et coiffé du haut de forme il marchait majestueusement, son visage exprimant tout à fait le sérieux approprié au cérémonial en cours. Je le fixais avec attention. Il me vit. Sans rien perdre de sa digne allure et continuant de regarder droit devant lui, il me tapa un de ces clins d’oeil inoubliables. Cela me le fit voir sous son côté paternel. Plus tard, je ne pourrais dire combien de temps plus tard, je réalisai que le Baptiste qui ne voulait pas nous voir dans son champ de maïs avait un coeur sensible comme les autres. Son épouse mourut subitement. En allant voir au salon la mère de ses enfants que je connaissais bien, je vis un Baptiste dont l’expression faciale ne pouvait traduire qu’une pure et véritable tristesse, un homme comme vous et moi, pas plus maître des grands mystères que nous tous.