
- Au jour le jour, décembre 2005
Le raid de La Tortue, le 3 novembre 1838 (suite de novembre 2005)
À Odelltown
Le 9 novembre suivant, Hubert Lefebvre-Rigoche, avec Hippolyte Lanctôt, notaire de Saint-Rémi, François Camyré, de Saint-Constant, fut l'un des principaux officiers sous le major Médard Hébert, qui commandait la colonne du centre au combat d'Odelltown, comme en témoigne un autre capitaine chouayen, Michel Lussier, de Saint-Édouard-de-Napierville.
– «Il (Lussier) vit, dit-il, Hippolyte Lanctot à cheval sur une jument qui lui appartenait -… Médard Hébert lui enleva aussi un cheval, une charrette, puis un harnais…- Hébert, Lanctot, Lefebvre Hubert, Desmarais Abraham, étaient armés de sabres et d'épées…»
Après le combat d'Odelltown, Hubert Lefebvre-Rigoche, chef de la troupe de La Tortue, eut la sagesse de mettre la frontière entre lui et les sbires de Colborne et de fuir aux États-Unis.
Pendant ce temps, neuf membres de son parti, soit le capitaine Joseph Robert, Jacques Robert – pas un proche du précédent – les deux frères Ambroise et Charles Sanguinet, fils de l'ancien seigneur de La Salle, Pascal Pinsonneau, François-Xavier Hamelin dit le "Petit Hamelin" – cousin de Lefebvre- Rigoche – Théophile Robert, Joseph Longtin et Jacques Longtin eurent à répondre de la mort de Aaron Walker, en janvier 1839, devant le Conseil de guerre qui avait déjà jugé en décembre précédent, le député de Laprairie, Joseph-Narcisse Cardinal (1808 – 1838), son clerc, Joseph Duquette (1815 – 1838) et al.
Quatre d'entre eux, Joseph Robert, les frères Sanguinet et le "Petit Hamelin", tous de La Tortue, montèrent sur l'échafaud où les avaient précédés, un mois plus tôt, Cardinal et Duquette. Il n'y a pas d'hésitation à dire que pris, Lefebvre-Rigoche eut été du nombre.
État civil de Lefebvre-Rigoche
Pour les notes d'identité, j'ai eu recours à M. Jean-Jacques Lefebvre, archiviste du palais de justice de Montréal.
Hubert Lefebvre-Rigoche naquit à La Tortue le 28 octobre 1817 et fut baptisé à Saint-Philippe-de- Laprairie. Il était le fils de Benoît Lefebvre (1788 – 1823), maître-forgeron, mort prématurément.
Le plus jeune frère de son père, Basile Lefebvre-Rigoche (1805 – 1880) fut élu le premier maire de Saint-Rémi-de-Napierville en 1845.
Son surnom de Rigoche provenait du prénom de son aïeul paternel, Ignace-Rigobert Lefebvre (1758 – 1834), lequel avait épousé à Boucherville, en 1780, sa cousine, Isabelle Sentenne (1761 – 1834), fille d'un sergent du Royal Américain, John Santon – nom francisé plus tard en Santenne – et de Charlotte Lefebvre (1726 – 1791).
Enfin, sa mère, Catherine Vaschereau-Versailles (1789 – 1859), sœur de la mère du malheureux "Petit Hamelin", convola en 1824 avec Louis Sédilot-Montreuil. De ce second mariage, elle fut l'aïeule, entre autres, de notre contemporain, Wilfrid Cédilot (1862 – 1940), qui a été le dernier député de Laprairie à l'Assemblée Législative de Québec, de 1916 à 1923, avant la fusion des collèges électoraux de Napierville et de Laprairie.
Hubert Lefebvre-Rigoche reçut son éducation à l'École de langues classiques que tenait au village de Saint-Philippe, le curé Pigeon, un homme d'initiative, qui publia un journal, dans son village, en 1826. Bénéficiant de l'amnistie, Hubert Lefebvre-Rigoche revint de l'exil et épousa aussitôt (1844), en son village natal de Saint-Philippe-de-Laprairie, Adélaïde Tremblay (1820 – 1872), tante paternelle, entre autres, d'Ernest Tremblay (1852 – 1904), le grand journaliste dont Aegidius Fauteux a parlé dans son Courrier historique et littéraire. Elle mourut à Montréal en 1872.
Il avait eu six enfants dont trois devenus adultes, tous nés à Saint-Philippe-de-Laprairie: Lucien, né en 1848, Joséphine, née en 1854 et Rosalie en 1856.
Notons les parrains des enfants de Hubert Lefebvre-Rigoche: son beau-frère, Julien Tremblay, qui fut le père du docteur A.-L. Tremblay (1846 – 1879), co-fondateur du premier journal franco-américain avec Ferdinand Gagnon; François-Xavier Bonneau (1808 – 1895), plus tard capitaine de milice, marchand à La Tortue pendant plusieurs années, dont une fille, Justine Bonneau, religieuse hospitalière, décédée en 1898, fut supérieure de l'Hôtel-Dieu de Montréal, et enfin, sa belle-sœur, Zoé Tremblay-Lanctot, qui fut la mère du juge Husmer Lanctot, et du docteur Joseph Lanctot, conseiller législatif.
Hubert Lefebvre-Rigoche avait deux frères: son aîné, Joseph, né en 1810, marié en 1832 à Pauline Chatel, qui vécut longtemps à Saint-Édouard-de-Napierville et demeurait en 1890 à Saint-Albert de Russell, Ontario, et un frère cadet, Olivier-L. (1822 – 1903) qui épousa à Saint-Philippe en 1844 Mathilde Deneau (1822 – 1903), fille de Charles Deneau, voyageur au Nord-Ouest.
Olivier avait géré les affaires de son frère pendant l'exil de celui-ci, mais au retour, ils vinrent en difficulté et pour régler et éviter un procès, ils prirent un accord devant notaire.
Hubert Lefebvre fut un temps instituteur à Saint-Philippe, probablement à La Tortue où il possédait une assez grande ferme. Le 26 août 1862, devant A. Beauvais, notaire, Hubert Lefebvre-Rigoche cédait à François Riel-Irlande, une terre sise à La Tortue, dans Saint-Philippe, de 5 X 30 arpents, tenant par devant à la rivière La Tortue, d'un côté à son frère Olivier…et qu'il possède par "bons titres" pour la somme de 42 000 livres (ancien cours).
La maison construite vers 1805 par son père le forgeron Benoît Lefebvre, fut démolie en 1914. Elle fut réquisitionnée par les autorités militaires pour loger un peloton de soldats d'un régiment de Glengarry, qui faisait durant les jours sombres de novembre 1838, l'occupation de la région de La Tortue, alors en ébullition.
Je le consigne ici pour mes fils quand ils auront l'âge de s'intéresser à ces choses, cette ferme passa en 1895 à mon père, Gustave Derome (1871 – 1940), qui y éleva sa famille.
Après la mort de sa femme, lors de la crise économique de 1872, Hubert Lefebvre-Rigoche partit pour les États-Unis avec son fils, Lucien et ses deux filles. Ces deux dernières vécurent dans l'État du Michigan. L'une, Joséphine, avait épousé Pierre Lalonde, l'autre, Rosalie, était mariée à Edmond Lemieux. Hubert Lefebvre-Rigoche alla mourir en octobre 1899 à Minneapolis, Minnesota, où son fils, Lucien, qui était marié à une demoiselle Colin, s'éteignit lui-même en 1933.
Une petite-fille de Hubert Lefebvre-Rigoche, madame Clotilde Lefebvre-Schwartz, de Minneapolis, est venu par deux fois à Montréal en 1945 et 1946 et m'a procuré la photographie de son grand père.
Ainsi mourut sur la terre d'exil le Patriote Hubert Lefebvre-Rigoche, qui à peine majeur, en 1838, avait réussi à conduire 150 hommes dans une insurrection armée contre le plus puissant Empire de l'époque et fut indirectement la cause de la mort sur l'échafaud de quatre de ses coparoissiens et de la ruine et de l'exil pour tant d'autres. Montréal, décembre 1953.
Revue d'histoire de l'Amérique française (RHA); no.7 – 1954; pp. 483 – 489.

- Au jour le jour, novembre 2005
Le raid de La Tortue, le 3 novembre 1838
Ce numéro de novembre convient parfaitement pour présenter cet article relatant des événements survenus justement en novembre…1838 et portant sur ce qui a été le dernier conflit armé en terre québécoise. Espérons tous qu'il demeure vraiment le dernier.
Le "généralRendant témoignage le 8 janvier 1839 devant le Conseil de guerre, présidé par le major John Clitherow, Florence Longtin donne le qualificatif de "Général" à Lefebvre-Rigoche, en spécifiant que tout le monde le désignait sous ce nom. – V. Report of the State Trials, (Montréal, 1839), 1:265. Devant le même tribunal et à la même date, un cultivateur de La Tortue, Cyprien Boyer, déclare que «Hubert Lefebvre-Rigoche était armé d'un sabre, d'un pistolet et d'une carabine et qu'il menaçait ceux qui ne feraient pas leur devoir, de leur tirer une balle dans le corps». Op. cit. , 267." Hubert Lefebvre-Rigoche (1817- 1899)
Hubert Lefebvre-Rigoche, marchand de La Tortue, fut le chef véritable de l'insurrection dans les paroisses du sud de Laprairie, lors de la reprise des hostilités, en novembre 1838. Lefebvre-Rigoche fut mis à la tête d'une troupe de 150 hommes, qui prit part à trois engagements: le raid de La Tortue, localité sise à quelque dix milles au sud de Laprairie, le 3 novembre 1838; l'assaut de la demeure du capitaine Frederick Singer, au village de Saint- Philippe, même date; le combat d'Odelltown, au sud de Lacolle, le 9 suivant.
Lefebvre-Rigoche avait reçu pour mission de s'emparer des casernes de Laprairie et d'incendier le bateau-traversier, entre Laprairie et Montréal, le Princess Victoria.
Arme au poing, il avait obligé Joseph Robert, capitaine de milice démissionnaire, de commander la troupe qui marcha sur Laprairie.Déposition de Joseph Robert, le 19 novembre 1838, Archives de la Province de Québec.
Le parti de Patriotes fit d'abord halte chez l'aubergiste de La Tortue, Eugène Rousseau, qu'il fit prisonnierReport of the State Trials, op. cit. , 262., puis continua sa route en direction de Laprairie, non sans prendre soin de désarmer les Loyalistes qu'il rencontrait en chemin. Au début, cette opération se fit sans trop de difficulté, mais, rendu à la maison de David Vitty où s'étaient réunis les Loyalistes, on menaça d'enfoncer la porte. À un coup de feu, tiré de l'intérieur de la maisonIbid…, 237, les Patriotes ripostèrent par une fusillade. Résultat, le propriétaire, Vitty, fut grièvement blessé et l'un des réfugiés, Aaron Walker, fut tué instantanément.
Après cette malheureuse affaire, le capitaine Robert, suivi d'une cinquantaine d'hommes, traversa la rivière La Tortue et alla rejoindre le détachement de Saint-Constant, levé par Médard Hébert, notaire, de Laprairie. De là, Robert se rendit à Napierville et "après une journée de repos, dit-il, nous continuâmes notre route sur Odelltown… Après avoir été repoussés, nous retraitâmes aux Côtes [Napierville] …et le lendemain, chacun se retira chez lui…"
Après l'attaque de la maison Vitty, Lefebvre-Rigoche réorganisa son bataillon et partit, avec environ 150 hommes, en direction du village de Saint-Philippe où il fit le siège de la maison du capitaine chouayen Frederick Singer. Au témoignage de Toussaint LegrandDéclaration de Toussaint Legrand-Dufresne, 27 novembre 1838, Archives de la Province de Québec., Lefebvre-Rigoche "donna l'ordre de faire feu…plusieurs coups furent tirés sur la maison…" Heureusement, il n'y eut pas de perte de vie, ni de blessés à cet assaut.
Au camp de Napierville
Après cette deuxième fusillade, le capitaine François Surprenant- Lafontaine (1789-1859), présent à cet engagement, qui avait été très actif dans le recrutement des Patriotes à Saint-Philippe, donna l'ordre de se rendre à La Tortue. Il fut plus tard l'un des 98 condamnés à mort, mais fut gracié. C'est alors que Lefebvre- Rigoche prit le commandement. On se mit en route et, à mi-chemin de La Tortue, Lefebvre-Rigoche et sa troupe prirent le déjeuner chez François Lefebvre. "Il était 7 heures du matin (4 novembre), dit Amable Vadboncoeur… ils partirent environ 200 hommes pour La Tortue et arrêtèrent chez François Lefebvre où ils prirent le déjeuner, sous les ordres de Hubert Lefebvre qui avait pris le commandement…"
Rendus à La Tortue, Lefebvre-Rigoche et son attroupement se joignirent, eux aussi, au détachement de Saint-Constant, commandé par Médard Hébert. On tint conseil de guerre. On décida de ne pas pousser l'attaque projetée de Laprairie, et les deux troupes, quelques jours plus tard, rallièrent le camp de Napierville où près de 4000 hommes étaient assemblés à un moment donné.
Tiré de la Revue d'histoire de l'Amérique française, no. 7; 1954; pp. 483-489.