- Au jour le jour, novembre 2006
Le chien Niagara et le mousquetaire – Partie 3
Frontenac à Chambly et à La Prairie
Monsieur Des Bergères et sa troupe sont cantonnés pour quelques mois à La Prairie et ensuite à Boucherville avant que le capitaine ne soit nommé par le gouverneur Frontenac, commandant au fort Chambly à l’été de 1690. Son jeune chien « Niagara » est en pension dans une des familles récemment évacuées de la seigneurie de Chambly. À l’intérieur du village palissadé de La Prairie, pendant cette période de guerre, « Niagara » profite de l’occasion pour se faire connaître de plusieurs citoyens de La Prairie et d’animaux de son espèce et surtout selon l’historien le sieur de Catalogne, « d’une chienne chaude » de la place.
Dans une lettre adressée au ministre, le 5 septembre 1692, le gouverneur Frontenac dit au sujet du commandant du fort Chambly, Monsieur Des Bergères : « il n’y a ici de commandant dans aucun fort qui tiennent les choses en si bon état qu‘il le fait, qui soit plus vigilant et sur qui on doive plus s’assurer ». Parce qu’il a vu le capitaine Des Bergères à l’œuvre lors d’une visite au Fort Chambly, Frontenac ajoute au sujet du danger qui y existe : « ce poste est le plus jalousé et le plus exposé de tous. Chambly est une clef du pays et les ennemis iroquois sont presque tous les jours au pied de ses palissades. »
Niagara en poste au Fort Chambly
Une fois que son maître le capitaine Des Bergères fut à son poste au Fort Chambly, on s’est aperçu des nombreuses absences de son chien Niagara. Maintenant âgé de trois ans, il se mit à faire quelques voyages aller-retour pour voir son amie canine de La Prairie et cela même si « les avenues étaient souvent occuper par l’ennemi Iroquois ». Contrairement aux chiens du pays qui n’étaient qu’apprivoisés, Niagara était un chien domestiqué. Eux s’attaquaient aux animaux de basse-cour et hurlaient sans raison; Niagara ce gros chien gardien bien nourri par son maître était rusé et avait au besoin, un aboiement extraordinaire qui communiquait la terreur-panique aux ennemis. Il portait très bien son nom… qui signifiait en Érié : « celui qui fait gronder le tonnerre ».
À chaque année, pourtant sur le qui-vive au temps des moissons, on enregistre de nombreuses victimes à La Prairie, Boucherville et Chambly. Un fatidique lundi 4 septembre 1690, 11 habitants, dont 3 femmes et une jeune fille qui travaillaient aux champs ainsi que 10 soldats de la garnison de Monsieur de Grès qui étaient de garde, sont pris ou tués par un important parti d’Iroquois à l’attaque de la fourche à La Prairie. (La fourche est le premier embranchement de la rivière Saint- Jacques, connue sous le nom du ruisseau des prairies, située à 2,5 kilomètres à l’est du fort. L’habitant Jean Duval et d’autres victimes y avaient leurs terres. Aujourd’hui ce site est occupé par l’école « Émilie-Gamelin » et le Parc-de-la-Magdeleine.) « Avant l’arrivée des secours, les Iroquois eurent le temps de mettre le feu aux maisons, à quelques tas de foin et de tuer des bêtes à cornes ».
Le 3 décembre suivant cette attaque, Louis Geoffroy, missionnaire Sulpicien, « certifie avoir été chercher dans le bois, le reste des ossements de deux hommes tués lors de cette attaque. La sépulture de Jean Bourbon de cette paroisse et d’un autre qu’on n’a pu savoir qui il était, tant il avait été défiguré par les iroquois, a eu lieu en ce jour, les autres victimes ayant été enterrées avant mon arrivée, le jour du combat » (2).
Niagara arriva au village palissadé de La Prairie après une de ces nombreuses attaques surprises et « il fut reconnu par les soldats de la garnison qui en avertirent le commandant », M. le Chevalier de Grès. « Craignant que quelques Français avec qui Niagara aurait pu venir n’eussent été pris par les Iroquois, l’officier eu l’idée d’écrire une courte lettre qu’on attacha au col du chien ». Niagara passa la nuit chez des amis de La Prairie et le lendemain matin après lui avoir donné à manger, « on le fustigea et le mis hors du fort en le menaçant si bien qu’il s’enfuit aussitôt en direction de Chambly ». Après avoir parcouru le trajet de quatre lieues (15 km) Niagara se présenta à son maître la lettre au col, que le capitaine Des Bergères lui enleva.
Fier de son chien, le capitaine après lecture de la lettre, décida de le renvoyer lui mettant la réponse au col. Par cette manière Niagara fut établi estafette (courrier) entre les avants postes de Chambly, Boucherville et La Prairie.
Monsieur de Niagara le « Courrier du Roi »
Vers la fin de l’année 1690, M. Des Bergères, le « Mousquetaire Noir » commandant au fort Chambly, fit des représentations à Monsieur le Marquis de Vaudreuil, le commandant des troupes de la marine en Nouvelle-France et gouverneur de Montréal (en l’absence de M. de Callières), lui demandant « pour son chien Niagara une solde de soldat pour ses précieux services et pour garantir sa ration. Ce qui lui fut accordé et il fut incorporé sur les rôles du soldat sous le nom de Monsieur de Niagara ».
Par la suite, nous présumons qu’on lui confectionna deux sacs de cuir avec harnais pour faciliter les mouvements et déplacements du chien. Car Niagara jouait maintenant un rôle auquel personne n’avait songé au départ, en tant qu’estafette il apportait maintenant les dépêches, les édits, les arrêts et ordonnances, les ordres militaires ainsi que le courrier du roi d’un poste à l’autre. (En 1690, le soldat gagne 6 sols par jour et paie 1 sol et 6 deniers par jour pour sa ration).
Le fort de Chambly sur le Richelieu était rapidement devenu un district militaire important qui servait de chien de garde, territoire tampon entre le cruel ennemi iroquois et la grande région de Montréal. À l’époque on dit du petit sentier, « le chemin de Chambly », traversant la dense forêt entre le fort Chambly et le petit village de Longueuil : « il est bourbeux, marécageux, parsemé d’étangs et de ruisseaux comme autant d’obstacles pour les chevaux et carrosses ou les marcheurs » (3).
Le chien, Monsieur de Niagara, vécut à cette époque tragique et brutale un épisode unique dans les annales militaires de la Nouvelle-France. Il était la sentinelle à l’extérieur du fort « très exposé » de Chambly qui devait toujours être prêt à signaler la présence de l’ennemi. Aussi, officiellement le « Courrier du Roi », il portait des messages écrits, en toutes saisons (4) d’un poste à l’autre, s’esquivant des prédateurs, loups, ours et chats sauvages, et surtout des pièges et des embuscades iroquoises mieux que tout homme n’aurait pu le faire et cela jusqu’à sa mort. Un historien affirme que sa mort a lieu en 1700 à savoir l’année précédant la signature de la « Grande Paix de Montréal ».
On trouva même le moyen de le faire vivre plusieurs années après sa mort. Lorsqu’un officier était à Chambly pour passer la garnison en revue militaire, on justifiait l’absence de Monsieur de Niagara en prétendant « que le brave était ou en course ou en chasse ».
Selon l’historien Benjamin Sulte et plusieurs autres, l’image de ce chien exceptionnel devrait être coulée dans le bronze pour la postérité…
Texte et recherche de : Albert LeBeau,
Membre de la Société d’Histoire de la Seigneurie de Chambly et de la Société d’Histoire de La Prairie-de-la-Magdeleine.
Notes
(2) Les autres victimes sont : Lamothe, Latreille, Beaulieu, Larose et D’Auvergne tous soldats de la garnison du capitaine Louis-Joseph-Hyacinthe Legouès sieur de Grès et de Merville ainsi que deux habitants de La Prairie :
Jean Duval, 48 ans, père de 6 e nfants et Jean Bresleau dit Barreau, 39 ans, père de 4 enfants.
Jean Bourbon, 37 ans, lui était père de 3 enfants.
Claude Aumart, 46 ans, domestique des Jésuites, capturé il fut emmené en Iroquoisie et brûlé.
Mathieu Faye dit La Fayette, 49 ans, et sa femme, Marguerite-Françoise Moreau, 35 ans, capturés mais plus chanceux; ils s’échappèrent du pays des Iroquois 4 ans plus tard (i.e. possiblement impliqués dans un échange de prisonniers) et regagnèrent La Prairie en 1694.
Ils étaient parents de 6 enfants et en eurent un autre; Élizabeth, le 11 juillet 1695 à La Prairie.
Six semaines plus tard, Mathieu Faye est de nouveau attaqué par des Iroquois. Cette fois-ci, il est tué ainsi que son jeune fils André, 7 ans, le 29 août 1695.
Ce même jour, 29 août 1695, Joachin Leber, 31 ans, marié à Jeanne Cusson (veuve de Jean Bresleau) a été pris et emmené pour être torturé et brûlé par les Iroquois.
(3) Le danger à chaque détour: En 1691, Jean Bessette, âgé de 18 ans, réfugié de Chambly et maintenant résident de La Prairie est capturé par les Iroquois à la côte St-Lambert de La Prairie et il est scalpé sur place*. Laissé pour mort, il survit à son supplice et quatre ans plus tard épousera Marie-Anne Benoit (veuve de Jean Bourbon) à La Prairie, le 16 mai, 1695. Marie-Anne Benoit, 32 ans, meurt à son tour, tuée par les Iroquois, le 9 août, 1697.
*Aussi scalpé et survivant de cette attaque, Joseph Dumay, 33 ans de La Prairie. Joseph est père de trois enfants et son épouse, Marguerite Guitaut est enceinte d’un quatrième.
(4) Les risques du métier de courrier… « Cet hiver le soldat LePrince, soldat de la garnison de Chambly a été trouvé gelé dans les prairies. Sa sépulture a lieu à La Prairie le 5 février, 1694 ».
Bibliographie
Dictionnaire Biographique du Canada, W.J. Eccles
Dictionnaire Général du Canada, tome 1, P.L. LeJeune
LACOURSIÈRE, Jacques, Histoire du Québec. Septentrion, Québec, 1995.
DESROSIERS, Léo-Paul, Iroquoisie, tomes 3 et 4, Septentrion, Québec, 1999,
SULTE, Benjamin, Histoire des Canadiens français et Mélanges historiques, vol. 9, pp 16-17
JETTÉ, René, Dictionnaire généalogique des familles du Québec.
TANGUAY, Cyprien, Dictionnaire généalogique des familles canadiennes,
BULLETIN des Recherches Historiques, Vol.13 No. 5, Vol.22 No. 8, Vol. 51 No. 12.
FAUTEUX, Aegidius, Le duel au Canada, 1934
DELÂGE, Denys, Le Cahier des Dix, No. 59 (2005) Histoire des chiens dans la rencontre des Français et des Amérindiens.
DE CATALOGNE, Gédéon, Collection de manuscrits contenant lettres et autres documents historiques relatifs à la Nouvelle-France, vol. 1, BLANCHET, Jean, Québec, s.n., 1883, pp. 606 et 607
FORTIN, Réal, Les Secrets Du Fort Chambly, 2005 (+ Illustration du fort Chambly)
HUDON, Paul-Henri et al. Les premiers habitants de Chambly et le recensement de 1681. Dans Les Cahiers de la seigneurie de Chambly, no. 26, avril 2003.
LACROIX, Yvon, Cahiers d’Histoire des Jésuites No. 4, 1667-1697, Édition Bellarmin 1687, (Placet de Duplessis-Faber à Maurepas, 1698, publié dans DECHENE, Louise, La correspondance de Vauban relative au Canada, ministère des Affaires Culturelles, 1968, p. 15; ANF, Colonies, C11A, v.119, f.21 lettres et demandes particulières du Canada 1697)
- Au jour le jour, octobre 2006
Le chien Niagara et le mousquetaire – Partie 2
Le chien Niagara et le mousquetaire: héros obscurs en Nouvelle-France
Le retour à Montréal
Harcelée par les Tsonnontouans et sans aide de leurs alliés indiens, la troupe quitte le poste de Niagara pour le retour à Montréal. Le chef des Hurons, Kondiaronk apprend que le gouverneur Français négocie avec l’ennemi Iroquois et il sabotera toutes les tentatives de paix avec ceux-ci.
L'île de Montréal avec sa petite ville fortifiée de 650 âmes, ses « habitations » entourées de palissades de pieux, ses terres labourées, ses jardins et ses vergers, était un petit monde plein de courage, d'élégance, de politesse formaliste et de discipline militaire. Le gouverneur de l'île, le chevalier de Callières ou M. Le Moyne de Longueuil recevaient; ils donnaient souvent des dîners pour leurs officiers. M. Des Bergères réuni avec son épouse et ses trois enfants se refaisait une santé à l’automne de 1688 pour ensuite participer à la défense de la Nouvelle-France.
À la fin de l’automne 1688 la petite troupe du capitaine Des Bergères est cantonnée chez les habitants de la côte de Batiscan et de la seigneurie de Champlain pour la saison morte.
Nous croyons que Monsieur Des Bergères, sa famille et son chien Niagara sont logés chez une notable de la place, Madame Jeanne Dandonneau. Elle est la veuve de Jacques Babie de Ranville, marchand et ancien officier du Régiment de Carignan décédé le 27 juillet précédent. Jeanne n’a que 34 ans et est enceinte de son onzième enfant.
L’enfant naît le lendemain de Noël, le 26 décembre 1688, et Monsieur Raymond Blaise Des Bergères est demandé comme parrain. L’enfant, Raymond Babie, portera le prénom de son parrain.
Durant les mois d’hiver (entre le 18 janvier et le 20 avril 1689) plusieurs soldats de la compagnie Des Bergères épousaient les filles des colons-défricheurs chez qui ils étaient hébergés. L’été suivant, M. des Bergères signe comme témoin quand François Lagarenne, un soldat de sa compagnie, se noie dans le Saint-Laurent et est enterré à Champlain le premier août 1689.
Monsieur Des Bergères en tant qu’officier était exempté de toute corvée. Son seul souci consistait à trouver les moyens de tromper l’ennui. Plusieurs officiers célibataires se disputaient la compagnie de jolies filles des seigneurs et notables de la place.
Des Bergères et sa femme Anne Richard sont témoins aux noces de certains, dont le commandant du fort Chambly, François Lefebvre Duplessis-Faber le 7 janvier 1689. Le 5 février suivant à Champlain, les deux officiers qui devaient se battre en duel quelques mois plus tard, apposèrent leur signature au bas du contrat de mariage de leur collègue, le capitaine Paul-Louis Dazemar de Lusignan. Vingt et une personnes, dont Anne Richard, ont également signé au bas de ce document rédigé par De Meromont, le notaire seigneurial.
Le sentier de la guerre
Les Agniers (Mohawks) ne restent pas neutres. Avec l’aide du gouverneur de l’état de New-York, Thomas Dongan, ils lèvent la hache de guerre contre la Nouvelle-France.
Partout autour de Montréal courent les rumeurs faisant état de fermes détruites, de familles entières massacrées ou amenées en captivité. En 1688-1689 la seigneurie de La Prairie reçoit 4 ou 5 familles réfugiées de Chambly Les familles sont celles de : François Bourassa, Jean Bessette, Bernard Deniger, René Dumas et également celle de Louis Bariteau dit Lamarche. et aurait maintenant une population de presque 200 habitants.
Entre l’automne 1688 et l’été 1690 M. Des Bergères, le « Mousquetaire Noir », et son chien noir Niagara participent à l’occasion à des opérations militaires avec la brigade des « 100 Mousquetaires » du Chevalier de Clermont. Cette troupe de choc créée par l’ancien colonel des Mousquetaires du Roi, le Marquis de Vaudreuil, avait pour tâche de faire la navette sur la Rive-Sud, entre La Prairie et Sorel, pour débusquer les nombreux partis iroquois ennemis qui rôdaient et qui semaient la terreur dans toute la région.
« Par ses nombreux déplacements avec son maître, le gros chien noir Niagara a connu toutes les pistes et les avenues entre les postes de la rive sud et celui de Chambly ». Et, en route, le chien s’était également fait plusieurs amis car l’instinct de sentinelle et de gardien qu’il avait hérité de sa mère « Vingt-Sols », avait permis d’éviter quelques guet-apens et embuscades des Iroquois. Tous savaient qu’il était de cette race de chien européen qui irait jusqu’à se faire mettre en pièces pour défendre son maître.
Le Mousquetaire du Roi
À l’été de 1689, quelques semaines avant le « massacre de Lachine » il y a une altercation entre le mousquetaire Des Bergères et M. François Lefebvre Duplessis-Faber tous deux « capitaine dans les troupes que sa Majesté a détaché de ses vaisseaux pour la Nouvelle-France en Canada ». Le sujet de la querelle fait en sorte que les deux belligérants en viennent aux coups à Trois-Rivières le 15 juillet en soirée et l’altercation se termina par un duel. « Les officiers dégainèrent prestement l’épée et se fouettèrent mutuellement d’estoc et de taille tant et si bien que Des Bergères reçut une entaille assez grave que le chirurgien-major des troupes, M. Michel Sarrazin, fut obligé de lui donner des soins ».
Quelques jours plus tard, les deux duellistes furent mis aux arrêts et leur procès s’instruisit dès que M. Jean-Baptiste Migeon de Bransac, « juge bailli » de Montréal fut rendu aux Trois-Rivières le 19 juillet pour s’informer de l’affaire en question. Sous le Régime Français les édits royaux contre ce crime étaient très sévères pour les coupables. Les deux officiers, risquent de perdre leurs commandements, honneurs, dignités etc., être bannis du royaume pour trois ans et perdre la moitié de leurs biens. Et s’il y a mort d’homme suite au duel, la peine de mort attend le vainqueur!
Onze personnes viennent témoigner, dont Jean Sicard de Carufel alors premier sergent de la compagnie de M. des Meloizes. Le 16 novembre 1689, devant le Conseil Souverain à Québec, les deux antagonistes furent absous, mais Lefebvre parce qu’il était l’agresseur dut verser à Des Bergères la somme de 600 livres à titre de dédommagement et payer les dépens.
François Lefebvre, 42 ans, était un gentilhomme de Paris « maistre d’hostel ordinaire de sa Majesté » et fils de Pierre Lefebvre l’un des « gentils hommes serviteurs de sa Majesté en son hostel de ville de Paris ». Ce noble « poudré » fut, suite aux incidents, écarté de son commandement à Chambly et de futurs postes importants de l’état-major à cause, semble-t-il, de son penchant pour la dive bouteille. En 1692 dans le rôle des officiers, le gouverneur de Montréal De Callières dit de lui « il est attaché au vin, n’est pas bon pour le pays ».
Des Bergères lui était originaire de Saint-Pierre d’Orléans et à 21 ans il eut l’honneur de servir pendant sept ans dans un corps d’élite de l’armée Française, les « Mousquetaires » de la maison du roi Louis XIV. La deuxième compagnie, 150 gentilshommes, appelée « les mousquetaires noirs » formait, avec beaucoup de panache, la garde habituelle du roi dans ses déplacements. Ce corps d’élite avait le Roi pour capitaine, et il se disait autant satisfait de leur sagesse que de leur valeur au combat. Cette cavalerie légère était dotée d’un chapeau et d’habits de velours noir galonnés d’argent et d’une monture de couleur noire. Leurs armes sont l’épée, la dague, le fusil et deux pistolets; le trop lourd mousquet ne servait plus qu’aux parades militaires.
Afin d’accéder au grade d’officier, les turbulents mousquetaires doivent effectuer leur service dans un corps privilégié. Monsieur Des Bergères en 1685 avait choisi de suivre le Marquis de Denonville en Nouvelle-France en tant que capitaine d’une compagnie franche de la marine. Cet officier participe à la grande expédition militaire contre les Tsonontouans en 1687 et il jouera un rôle militaire très important sur nos rives. Il est de tous les combats durant la guerre franco-iroquoise de 1687-1701; commandant successivement au fort Niagara, au fort Chambly et au fort Frontenac (Kingston) et appartient avec son chien Niagara à la grande histoire.
Suite et fin dans notre prochain numéro…
- Au jour le jour, septembre 2006
Le chien Niagara et le mousquetaire – Partie 1
Le chien Niagara et le mousquetaire : héros obscurs en Nouvelle-France
N.D.L.R. Nous vous présentons ici les résultats d’une recherche inédite sur le chien Niagara. Ce texte vous sera présenté en quatre extraits consécutifs au cours de l’automne 2006.
Introduction
Il était une fois un chien qui vécut à la fin du XVIIe siècle en Nouvelle-France. Sa mère s’appelait « Vingt-Sols » et son maître lui donna le nom de « Niagara », son lieu de naissance.
Les exploits du brave « Niagara » se sont déroulés dans le triangle LaPrairie-Chambly- Boucherville pendant l’effroyable guerre Franco-Iroquoise de 1687-1701.
Ce chien était sentinelle comme sa mère ainsi que le « courrier du roi » entre les forts de la rive sud de Montréal. Il était également le fidèle compagnon du mousquetaire et capitaine, Raymond Blaise sieur des Bergères, commandant au fort Chambly.
Grâce à des documents d’archives et aux mémoires du Sieur de Catalogne il est possible de faire revivre le légendaire « Niagara », car il a sans doute à sa manière, sauvé la vie de plusieurs habitants et soldats de son époque. Voici un bref aperçu de son histoire connue ainsi que celle de son maître « le mousquetaire noir ».
Le Fort Niagara
Suite à sa grande campagne militaire au pays des Iroquois Tsonnontouans, l’armée française ainsi que les milices de la Nouvelle-France au nombre de 2200 hommes abandonnent le 25 juillet 1687 le petit fort situé sur le lac Ontario au bord de la Rivière des Sables (Genesee). Le fort est brûlé et l’armée du Gouverneur Denonville quitte enfin le pays dévasté des Tsonnontouans. Le 26 juillet, la flottille hisse les voiles pour le retour à Montréal, mais cette fois en longeant la rive ouest et nord du lac Ontario.
Le 30 juillet l’armée arrive à l’embouchure de la rivière Niagara. Denonville choisit tout de suite l’emplacement du fort à construire au bord du lac, sur une éminence escarpée. « Je choisis l’angle du lac sur la rive est de la rivière, qui est du côté des Tsonnontouans; c’est l’endroit le plus beau et le mieux situé qu’il y ait sur tout le lac. »
Deux grandes barques de provisions arrivent du fort Frontenac (Kingston). Il y a même des bestiaux, et les pioches, les pelles, les scies, les haches et autres outils nécessaires pour la construction du fort. Pendant ce moment de répit pour les troupes plusieurs officiers avec leurs escortes en profitent pour remonter les 25 kilomètres de la rivière Niagara pour admirer ses fameuses chutes, « cette effroyable cataracte » selon le Baron LaHontan, « le plus grand sault qui soit au monde » selon LaSalle.
Le 31 juillet le commandement du fort Niagara est confié au chevalier Pierre de Troyes. Le capitaine Raymond Blaise des Bergères présent avec la chienne « Vingt-Sols » est désigné pour commander la garnison. Ce fort, ils le construiront selon les plans conçus et dessinés par Robert de Villeneuve, ingénieur militaire du roi.
Le gouverneur avait demandé au ministère l’autorisation d’élever un fort de pierre mais pour des raisons de restrictions budgétaires il n’avait pu obtenir l’ascendant de Paris. Alors, les soldats se mettent immédiatement au nettoyage de l’endroit; et on creuse les fosses ou l’on plantera des palis de seize pieds de haut. Les fortifications du fort Niagara, les courtines, les bastions et banquettes ont été complétés par l’armée en 8 jours.
Selon un témoin des événements, le jeune sieur Gédéon de Catalogne, officier, historien et sous ingénieur du Roi, « le fort présentait 4 bastions aux angles et des pieux de dimensions importantes ».
Après le départ de l’armée il restera un fort, en plein territoire ennemi, avec une garnison de 2 compagnies (100 hommes et six officiers selon LaHontan) qui n’osera franchir la porte, car l’ennemi Tsonnontouan qui compte près de 2000 guerriers à 5 jours de marche, rôdera en petits groupes dans le bois aux alentours, prêt à assommer et à capturer. Mais la chienne « Vingt-Sols », même si elle est « grosse », joue son rôle essentiel de gardienne et de sentinelle aux environs du fort toujours prête à sonner l’alarme. Sa présence et ses incursions dans la forêt pour signaler la présence de l’ennemi, sécurise et facilite la tâche aux soldats qui coupent du bois de chauffage pour le long hiver à venir.
Après la fin des travaux à l’intérieur du fort, un rare moment de joie pour la garnison; « Vingt-Sols » la chienne du capitaine Des Bergères a une portée de chiots. Le premier, et le plus gros, ressemble étrangement au grand chien noir du capitaine de Troyes. Ce brave chien, que nous croyons être un Terre- Neuve, est mort de ses blessures lors de la dernière campagne contre les Tsonnontouans. Il avait, semble-t-il, été ramené comme « trophée » l’année précédente de l’expédition à la baie d’Hudson ou le capitaine de Troyes avec les frères Lemoyne s’étaient emparé de trois forts anglais. Le chiot sera rapidement adopté comme mascotte de la garnison et sera nommé Niagara.
Au cours de l'hiver le redoutable chef iroquois « La Chaudière Noire » conduit des assauts répétés. La garnison du Fort Niagara est virtuellement assiégée. Les soldats sont souvent malades et plusieurs membres de la troupe meurent de dysenterie ou du scorbut. On dit que la maladie est due à l’air du pays, mais en réalité elle est causée par les vivres qui s’étaient gâtées. À l’occasion, certains soldats affaiblis et mal équipés pour marcher dans la forêt enneigée sont attaqués et tués par des loups affamés.
Le 16 avril 1688 le missionnaire jésuite Pierre Millet qui remplace l’aumonier Jean de Lamberville, fit ériger une croix en chêne de dix-huit pieds de hauteur au centre du fort Niagara pour souligner le vendredi saint et rendre grâce à dieu qui avait épargné une partie de la garnison. Lamberville souffrait déjà du scorbut au mois de décembre et était tellement affaibli qu’on dut le transporter par bateau à Cataracoui et par suite en traîneau, plus mort que vif, jusqu’à Montréal où il arriva en février 1688.
L’hécatombe continue, le commandant le Chevalier de Troyes malade au cours de cet hiver particulièrement rigoureux meurt le 8 mai, 1688. Au printemps il ne reste que le jeune capitaine de 32 ans, Des Bergères; son enseigne de 30 ans, François-Christophe Dufrost sieur de LaJemmerais, son cadet Jean-Baptiste Pierrenichon sieur De Bienville et une dizaine de ses hommes pour enterrer les morts.
Suite aux attaques iroquoises contre les postes de la Nouvelle-France, le gouverneur Denonville en négociation avec des émissaires iroquois; et dans une tentative maladroite pour obtenir la paix, donne l’ordre de démolir le nouveau fort Niagara et de déserter celui de Détroit.
Après avoir reçu des renforts, le capitaine Des Bergères exécute l’ordre de démolition le 15 septembre 1688. Mais ne sera détruite que « la fortification de ce fort », on gardera les cinq cabanes, une boulangerie, un magasin et un grand logement.
À suivre dans notre prochain numéro…