Dans La Prairie d’avant la Seconde Guerre mondiale, alors que cette petite ville avait encore une certaine atmosphère de village, quelques individus étaient connus, autant et parfois plus par un surnom que par leur vrai nom.
Enfants, il nous était facile de comprendre l’origine de certains de ces surnoms : ainsi en était-il de Morveux qui affichait un nez propice à cette caractéristique et de La Patte à… qui devait s’aider d’une béquille pour marcher. Par contre, le Branleux, qui exerçait un métier qui le mettait en contact autant avec des adultes que des enfants, ne montrait aucun signe ostensible pouvant justifier ce surnom. J’appris en vieillissant qu’il aimait les jeux de cartes où on misait de modestes sommes entre copains. Ceux-ci l’avaient-ils affublé de ce sobriquet parce qu’il était hésitant à se décider lors de ces parties ? Étaient-ce ces mêmes copains qui avaient gratifié sa femme du rare surnom (du moins à La Prairie) de La Comète ? L’épithète peut s’appliquer à quelqu’un d’étonnant, de rare ou à une commère selon le cas. Le physique attrayant de la personne en cause porte à croire qu’on avait voulu souligner, en plaisantant, le bon choix conjugal de ce copain.
Pourquoi, par ailleurs, le tueur attitré de l’abattoir local était-il surnommé Moineau, un sobriquet péjoratif signifiant « vilain moineau » même quand il est ironiquement qualifié de « joli moineau ». Certains laissaient entendre qu’il pouvait provoquer des avortements clandestins à l’aide de broches à tricoter !
Crapet, un synonyme de crapaud, était un résident du Fort-Neuf affublé de ce surnom à cause de sa démarche évoquant celle de ce batracien.
Les surnoms, il y en a eu depuis longtemps à La Prairie, comme ailleurs. En voici quelques-uns relevés dans le recensement paroissial fait par le curé Bourgeault, en 1878. Le nom d’une veuve y est accompagné du surnom Le Croche associé à son défunt mari. Cela évoque une jambe croche qui affecte la démarche. Dans une autre famille où résidait un journalier de 39 ans, ce dernier est dit Boitasse, qui boite. Les données du recensement étant mises à jour quand un paroissien décédait on en déduit que Boitasse ne devait pas être un homme très heureux, car, en 1888, on le trouva pendu. On peut penser, par contre, qu’un certain Joachim était un être choyé. Le recenseur ajoute à son nom le sobriquet plutôt affectueux de Pitou-Ninnin ! Ces termes désignent, pour Pitou : enfant, fiancé ou mari, et, pour Ninnin, sont synonymes de fanfan, mon poulet, mignon.
Dans les dictionnaires on fait état de différents types de surnoms, certains se transmettant à la descendance, d’autres d’une durée limitée à une tranche de vie ou disparaissant avec elle.
Beaucoup de surnoms transmis à des descendants étaient tirés des caractéristiques d’un individu : ainsi les « dits Sans regret » ou « Sans façon ». Lépine en rapporte, entre autres, d’assez savoureux: « Antoine Bonnet dit Prettaboire, René Cruvinet dit Bas d’argent et Jacques Legendre dit Bienvivant. »
Les sobriquets sont des surnoms plutôt familiers, parfois plaisants, souvent moqueurs qui peuvent aussi être ridicules ou injurieux. Ils sont souvent attribués dans l’enfance par des compagnons d’école ou de jeu. Beaucoup commencent par un Ti (petit) : Ti-Blanc, un oncle dont la chevelure blonde était très pâle ; Ti-Rouge, un rouquin ou un fervent libéral ? Ti-Zoune était un de mes compagnons de classe. Il y a eu longtemps beaucoup de Ti-Zoune au Québec. Le comédien Olivier Guimond fils dont le père portait ce surnom le donna comme titre à une de ses pièces. Ce n’est que récemment que j’ai trouvé le sens de Zoune, un québécisme équivalent de « zizi », pénis. Comme Ti-Cul, il est employé par des grands pour rappeler à des jeunes leur infériorité évidente!
Rappelons pour mémoire deux Ti de La Prairie bien connus à l’époque. D’une part, Ti-Gris, petit de taille et grisonnant, enseignant à l’Académie Saint- Joseph sous le nom religieux de Frère Bruno. D’autre part, Ti-Mine, la servante du presbytère du temps du curé Chevalier. Son sobriquet était peut-être tiré de son prénom, mais ce n’est pas celui-ci qui en fit un petit personnage, C’est plutôt dans sa façon d’alimenter le clergé local qu’elle attira l’attention de pieux citoyens. Responsable de plusieurs tâches au presbytère il lui fallut sans doute en condenser certaines pour venir à bout de l’ensemble. Elle choisit de rationaliser la préparation des mets. Elle en préparait certains en bonne quantité pour en avoir en réserve dans la glacière pour plusieurs repas. Ce n’était pas une mauvaise idée sauf que les menus manquaient de variété et que, par exemple, certains jeunes vicaires moins portés au renoncement n’arrivaient pas à se délecter d’oeufs au miroir réchauffés. Le curé s’accommodait de ce régime, mais la chose se sut dans la communauté. Des paroissiens compatissants se donnèrent le mot sans le dire pour inviter de temps à autre ces jeunes prêtres à partager un de leurs repas de famille. Ils savaient, eux, que si un esprit est sain dans un corps sain, un corps sain demande du bon pain.
Et, pour en finir avec les Ti, évoquons le souvenir de René Lévesque, premier ministre du Québec au crâne dégarni, qualifié de Ti-Poil !
Références
Bourgeault, Florent, curé, Recensement de la population de La Prairie de la Magdeleine, 1878
Lépine, Luc, L’impact des noms de guerre militaires français sur la patronymie québécoise. www.histori.ca/prodev/article.do?id=15333
Meney, Lionel, Dictionnaire québécois français
Dictionnaire Bélisle de la langue française au Canada
Le Grand Robert de la langue française