Les officiers des troupes de la Marine à La Prairie en 1691

En 2017 une importante consultation de documents d'archives en France et au Québec a permis au généalogiste émérite Marcel Fournier et à ses collègues de réaliser une forme de dictionnaire inédit intitulé «Les troupes de la Marine au Canada entre 1683 et 1760» dans lequel livre nous retrouvons également un index des noms de tous les 889 officiers de la Marine qui ont servi au Canada pendant cette période.

 

Cette recherche est une invitation à enrichir nos connaissancesEn 2009 dans «1691 – La Bataille de La Prairie» les auteurs affirmaient (p.131): «Nous savons également peu de choses sur les miliciens et sur les compagnies Franches de la Marine engagés dans ces combats». sur la présence et le nombre exacte d'officiers des compagnies franches de la Marine au Canada lors de la guerre Franco-Iroquoise et surtout au moment de la grande opération militaire qui eut lieu durant l'été de l'année 1691.

 

L’analyse rétrospective de cet index nous permet de savoir avec certitude qu'il y avait 168 officiers de la Marine présent au Canada en 1691. Le décompte des grades est le suivant: 30 capitaines, 16 capitaines réformés, 35 lieutenants, 27 lieutenants réformés, 35 enseignes, 9 enseignes réformés ainsi que 16 cadets. De ces 168 officiers de la Marine, 115 sont d'origine française et 53 sont canadiens.Ce total de 168 officiers de la Marine est exactement le double de l'estimé établi par René Chartrand dans: Le Patrimoine Militaire Canadien, Tome I, 1000 – 1754, Montréal, Art Global,1993, page 111.

 

Donc, un total de 168 officiers pour seulement 28 compagnies présentes dans la colonie, soit 6 officiers par compagnie. Si nous excluons de ce nombre les officiers d'État-Major et de la garde personnelle des trois gouverneurs présents en Nouvelle-France; soit à Québec, Trois-Rivières et Montréal, il restait environ 5 officiers pour chaque compagnie. Il est important de souligner que cette situation de surplus d'effectifs militaires avec expérience de combat représentait un très grand avantage en temps de guerre.

Une compagnie de la Marine était normalement composée d’un maximum de cinquante hommes incluant un capitaine, un lieutenant ainsi qu’un enseigne. En 1691, suite à plusieurs années de petite guerre, il ne restait au Canada que plus ou  moins 1100 soldats de la Marine en plus de leurs  officiers, soit des formations réduites à un nombre  de 42 à 43 hommes en moyenne par compagnie.

 

Louis-Hector de Callières, le gouverneur militaire de Montréal, ainsi que le baron de LaHontan nous confirmaient qu'il y avait 15 compagnies à La Prairie le matin du 10 août 1691 et donc de conclure qu'il y avait aussi 75 à 80 officiers présents. Suite au départ du bataillon du commandant de Valrennes, pour se rendre au fort Chambly, il restait toujours 11 compagnies à La Prairie avec environ 55 à 60 officiers.

 

Tôt le matin du 11 août, après l'escarmouche qui eut lieu devant le fort La Prairie, c'est bien le feu et les nombreuses embuscades de l'ennemi le long du sentier menant vers le fort Chambly qui expliqueraient la poursuite inefficace de la part de l'armée française. En effet Pieter Schuyler, le commandant des envahisseurs newyorkais, avait donné ordre à son arrière-garde de mettre le feu dans les champs de blé de La Prairie «burning their corne and hay» et tout au long du sentier lors de la retraite de son armée. Cette action eut l'avantage d'empêcher l'anéantissement complet de son armée newyorkaise par les troupes françaises qui, elles, tentaient d'appliquer la stratégie militaire énoncée par Callières, à savoir, «mettre l'ennemi entre deux afin qu'ils ne nous eschapassent pas».

 

Une fois arrivé à la traverse de la petite rivière Mont-Royal (l’Acadie) «à mi-chemin» entre les deux forts de La Prairie et de Chambly, Schuyler affirmait dans son Journal qu'il faisait face à un bataillon composé d'environ 300 soldats français ainsi qu'une quarantaine de leurs alliés. Cette troupe composée de 6 compagnies de la Marine et d'une compagnie de miliciens canadiens avait environ 35 à 40 officiers à sa têteLes six compagnies de la Marine avaient pour capitaines plusieurs hommes ayant combattus en Europe dans la grande armée du Général Henri de La Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne. Il s'agit des capitaines, Philippe Clément sieur du Vuault et de Valrennes, 47 ans; monsieur le Marquis Antoine de Crisafi-Grimaldi, 39 ans; son jeune frère, le Chevalier de Malte monsieur Thomas de Crisafi-Grimaldi, 25 ans; monsieur Nicolas Daneau de Muy, 40 ans; monsieur Claude Guillouet d'Orvilliers, 33 ans; monsieur le capitaine et Major des troupes Joseph de Monic, 35 ans. Se rajoutant à ceux-ci, le jeune capitaine de la milice de Montréal le sieur Vincent LeBer du Chesne, âgé de 24 ans.. De ces chiffres il faut retenir a posteriori que la mort de 3 ou 4 jeunes officiers et de quelques soldats lors des durs combats qui ont suivi ne pouvait être considérée comme une lourde perte militaire pour les forces françaises.

 

Par contre, dans une lettre écrite 3 jours après la bataille, le gouverneur Frontenac nous résume les faits au sujet de la victoire française et des lourdes pertes de l'ennemi: «après un combat qui dura près d'une heure et demie…le Sieur de Valrennes les fit plier et les mit entièrement en déroute, leur ayant tué plus de six-vingt (120) hommes sur la place parmi lesquels il y avait cinq ou six de leurs principaux chefs tant Anglais que SauvagesSelon Charles de Monseignat, premier secrétaire de Frontenac, sur le champ de bataille le grand Sachem du nom de « Onnonragewas » avait été une des nombreuses victimes du côté des envahisseurs. Également connu sous le nom de «Janetje» par les Hollandais et de «Lawrence» par les Anglais, Onnonragewas avait été qualifié de «bel entremetteur» ou fourbe par les Français car il avait passé l’automne et l’hiver précédents à Montréal, à négocier pour la paix avec le gouverneur Callières. Il avait quitté Montréal au printemps 1691 ayant pris l’engagement d’y revenir avec les membres de sa famille et de son clan pour s’établir au «Sault» avec les Agniers chrétiens. En fait, comme Callières s’en doutait, Onnonragewas n’était là qu’afin de mieux espionner pour le compte de ses alliés et fournisseurs d’Albany. , blessé un bien plus grand nombre, pris leurs drapeaux et fait quelques prisonniers ».

 

Lors de ces événements Monsieur le comte de Frontenac était aux Trois-Rivières avec son État-Major ainsi que le commandant des troupes de la Marine en Nouvelle-France, le colonel Philippe Rigaud de Vaudreuil. Et, suite aux rapports qu'on lui fit, il nous confirmait également dans sa lettre du 14 août les pertes françaises pour toute cette journée: «Nous y avons perdu, de notre côté, 7 ou 8 officiers des plus braves et trente ou quarante soldats et habitants sans quelques blessés».

Rétrospectivement, il serait illogique de croire, comme l'ont fait plusieurs historiens canadiens, que la perte de 4 des 55 à 60 officiersLes quatre officiers décédés suite aux affrontements malheureux du 11 août, 1691 devant le fort La Prairie sont: le capitaine Pierre d’Escayracde l’Autheur et de Reau, 24 ans; le capitaine réformé le sieur d’Hosta, 29 ans; le lieutenant réformé le sieur Domergue de Saint-Médard, 28 ans; et enfin le dénommé «Saint-Cirque» qui est plutôt le capitaine Jean-Louis Jadon de Cirgues et de Malmort âgé de 43 ans. présents au fort La Prairie le matin du 11 août 1691 avait été catastrophique pour l'armée française. La même conclusion s'imposerait pour la perte des 4 officiersLes quatre officiers décédés suite à la grande bataille du 11 août, 1691 à «mi-chemin» entre le fort Chambly et La Prairie sont:le lieutenant réformé Maurice Le Varlet de Saint-Maurice, 26 ans; le cadet Jean-Baptiste Denys de La Bruyère, 22 ans (filleul du comte de Frontenac); le lieutenant de la compagnie de Valrennes, Monsieur Antoine d’Aubusson du Verger-Dumas-Dupuys, 27 ans (beau-frère de Madeleine de Verchères); ainsi que le capitaine de la milice de Montréal, le sieur Vincent LeBer du Chesneâgé de 24 ans (frère de Jeanne LeBer, première recluse d’Amérique du Nord). sur un total de 35 à 40 officiers présents lors de la grande bataille qui suivi à «mi-chemin entre les deux forts».

 

Monsieur de Callières, le grand stratège de cette opération d'encerclement de l'ennemiLe roi Louis XIV avait créé au mois d’avril 1693 «l’Ordre Royal et Militaire de Saint-Louis» dans le but de récompenser les officiers les plus valeureux de son royaume. En Nouvelle-France, dès l’automne de cette année 1693, le premier sujet du roi à recevoir ce grand honneur a été nul autre que Louis-Hector de Callières. Ceci, afin de souligner sa contribution stratégique, facteur clé de la victoire décisive des troupes françaises lors des opérations militaires dans la seigneurie de La Prairie-de-la-Magdeleine, le 11 août 1691., avait encore à sa disposition un très grand nombre d'officiers aguerris ayant l’expérience de combat sur les champs de batailles européens, capables d'assumer le commandement des troupes et de les mener à la victoire … tel que nous le confirment ces nouvelles recherches sous la direction de Marcel Fournier.

 

NB: Kahnawake, le grand village du «Sault» récemment palissadé par les alliés Agniers était situé à 6 km au nord-ouest du fort de La Prairie. Suite à la mort tragique du Grand Agnier «Togouirout » en 1690 ce village fut par la suite, en 1691, commandé par «Tatakwiséré » le plus grand de ses capitaines de guerre. Afin d'en assurer la sécurité et surtout pour empêcher le va-et-vient d'espions ou de certains Agniers sympathiques aux Mohawks, M. de Callières y avait posté une demi-compagnie de soldats avec de jeunes officiers canadiens de la Marine. Cette troupe était commandée par le lieutenant Nicolas d'Ailleboust de Manthet (28 ans) qui, accompagné de ces mêmes Agniers, avait aussi commandé l'expédition punitive de l'année précédente sur Schenectady, N.Y. L'enseigne Augustin Le Gardeur de Repentigny (28 ans), cousin de Nicolas, était également présent en plus d'un autre enseigne de la région de Montréal, Zacharie Robutel de LaNoue (26 ans).

 

Jean-François Lozier – Université d'Ottawa: Flesh Reborn … The Saint-Lawrence Valley Mission Settlements through the Seventeenth Century. – McGill-Queen's University Press -2018

 

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