À Odelltown
Le 9 novembre suivant, Hubert Lefebvre-Rigoche, avec Hippolyte Lanctôt, notaire de Saint-Rémi, François Camyré, de Saint-Constant, fut l'un des principaux officiers sous le major Médard Hébert, qui commandait la colonne du centre au combat d'Odelltown, comme en témoigne un autre capitaine chouayen, Michel Lussier, de Saint-Édouard-de-Napierville.
– «Il (Lussier) vit, dit-il, Hippolyte Lanctot à cheval sur une jument qui lui appartenait -… Médard Hébert lui enleva aussi un cheval, une charrette, puis un harnais…- Hébert, Lanctot, Lefebvre Hubert, Desmarais Abraham, étaient armés de sabres et d'épées…»
Après le combat d'Odelltown, Hubert Lefebvre-Rigoche, chef de la troupe de La Tortue, eut la sagesse de mettre la frontière entre lui et les sbires de Colborne et de fuir aux États-Unis.
Pendant ce temps, neuf membres de son parti, soit le capitaine Joseph Robert, Jacques Robert – pas un proche du précédent – les deux frères Ambroise et Charles Sanguinet, fils de l'ancien seigneur de La Salle, Pascal Pinsonneau, François-Xavier Hamelin dit le "Petit Hamelin" – cousin de Lefebvre- Rigoche – Théophile Robert, Joseph Longtin et Jacques Longtin eurent à répondre de la mort de Aaron Walker, en janvier 1839, devant le Conseil de guerre qui avait déjà jugé en décembre précédent, le député de Laprairie, Joseph-Narcisse Cardinal (1808 – 1838), son clerc, Joseph Duquette (1815 – 1838) et al.
Quatre d'entre eux, Joseph Robert, les frères Sanguinet et le "Petit Hamelin", tous de La Tortue, montèrent sur l'échafaud où les avaient précédés, un mois plus tôt, Cardinal et Duquette. Il n'y a pas d'hésitation à dire que pris, Lefebvre-Rigoche eut été du nombre.
État civil de Lefebvre-Rigoche
Pour les notes d'identité, j'ai eu recours à M. Jean-Jacques Lefebvre, archiviste du palais de justice de Montréal.
Hubert Lefebvre-Rigoche naquit à La Tortue le 28 octobre 1817 et fut baptisé à Saint-Philippe-de- Laprairie. Il était le fils de Benoît Lefebvre (1788 – 1823), maître-forgeron, mort prématurément.
Le plus jeune frère de son père, Basile Lefebvre-Rigoche (1805 – 1880) fut élu le premier maire de Saint-Rémi-de-Napierville en 1845.
Son surnom de Rigoche provenait du prénom de son aïeul paternel, Ignace-Rigobert Lefebvre (1758 – 1834), lequel avait épousé à Boucherville, en 1780, sa cousine, Isabelle Sentenne (1761 – 1834), fille d'un sergent du Royal Américain, John Santon – nom francisé plus tard en Santenne – et de Charlotte Lefebvre (1726 – 1791).
Enfin, sa mère, Catherine Vaschereau-Versailles (1789 – 1859), sœur de la mère du malheureux "Petit Hamelin", convola en 1824 avec Louis Sédilot-Montreuil. De ce second mariage, elle fut l'aïeule, entre autres, de notre contemporain, Wilfrid Cédilot (1862 – 1940), qui a été le dernier député de Laprairie à l'Assemblée Législative de Québec, de 1916 à 1923, avant la fusion des collèges électoraux de Napierville et de Laprairie.
Hubert Lefebvre-Rigoche reçut son éducation à l'École de langues classiques que tenait au village de Saint-Philippe, le curé Pigeon, un homme d'initiative, qui publia un journal, dans son village, en 1826. Bénéficiant de l'amnistie, Hubert Lefebvre-Rigoche revint de l'exil et épousa aussitôt (1844), en son village natal de Saint-Philippe-de-Laprairie, Adélaïde Tremblay (1820 – 1872), tante paternelle, entre autres, d'Ernest Tremblay (1852 – 1904), le grand journaliste dont Aegidius Fauteux a parlé dans son Courrier historique et littéraire. Elle mourut à Montréal en 1872.
Il avait eu six enfants dont trois devenus adultes, tous nés à Saint-Philippe-de-Laprairie: Lucien, né en 1848, Joséphine, née en 1854 et Rosalie en 1856.
Notons les parrains des enfants de Hubert Lefebvre-Rigoche: son beau-frère, Julien Tremblay, qui fut le père du docteur A.-L. Tremblay (1846 – 1879), co-fondateur du premier journal franco-américain avec Ferdinand Gagnon; François-Xavier Bonneau (1808 – 1895), plus tard capitaine de milice, marchand à La Tortue pendant plusieurs années, dont une fille, Justine Bonneau, religieuse hospitalière, décédée en 1898, fut supérieure de l'Hôtel-Dieu de Montréal, et enfin, sa belle-sœur, Zoé Tremblay-Lanctot, qui fut la mère du juge Husmer Lanctot, et du docteur Joseph Lanctot, conseiller législatif.
Hubert Lefebvre-Rigoche avait deux frères: son aîné, Joseph, né en 1810, marié en 1832 à Pauline Chatel, qui vécut longtemps à Saint-Édouard-de-Napierville et demeurait en 1890 à Saint-Albert de Russell, Ontario, et un frère cadet, Olivier-L. (1822 – 1903) qui épousa à Saint-Philippe en 1844 Mathilde Deneau (1822 – 1903), fille de Charles Deneau, voyageur au Nord-Ouest.
Olivier avait géré les affaires de son frère pendant l'exil de celui-ci, mais au retour, ils vinrent en difficulté et pour régler et éviter un procès, ils prirent un accord devant notaire.
Hubert Lefebvre fut un temps instituteur à Saint-Philippe, probablement à La Tortue où il possédait une assez grande ferme. Le 26 août 1862, devant A. Beauvais, notaire, Hubert Lefebvre-Rigoche cédait à François Riel-Irlande, une terre sise à La Tortue, dans Saint-Philippe, de 5 X 30 arpents, tenant par devant à la rivière La Tortue, d'un côté à son frère Olivier…et qu'il possède par "bons titres" pour la somme de 42 000 livres (ancien cours).
La maison construite vers 1805 par son père le forgeron Benoît Lefebvre, fut démolie en 1914. Elle fut réquisitionnée par les autorités militaires pour loger un peloton de soldats d'un régiment de Glengarry, qui faisait durant les jours sombres de novembre 1838, l'occupation de la région de La Tortue, alors en ébullition.
Je le consigne ici pour mes fils quand ils auront l'âge de s'intéresser à ces choses, cette ferme passa en 1895 à mon père, Gustave Derome (1871 – 1940), qui y éleva sa famille.
Après la mort de sa femme, lors de la crise économique de 1872, Hubert Lefebvre-Rigoche partit pour les États-Unis avec son fils, Lucien et ses deux filles. Ces deux dernières vécurent dans l'État du Michigan. L'une, Joséphine, avait épousé Pierre Lalonde, l'autre, Rosalie, était mariée à Edmond Lemieux. Hubert Lefebvre-Rigoche alla mourir en octobre 1899 à Minneapolis, Minnesota, où son fils, Lucien, qui était marié à une demoiselle Colin, s'éteignit lui-même en 1933.
Une petite-fille de Hubert Lefebvre-Rigoche, madame Clotilde Lefebvre-Schwartz, de Minneapolis, est venu par deux fois à Montréal en 1945 et 1946 et m'a procuré la photographie de son grand père.
Ainsi mourut sur la terre d'exil le Patriote Hubert Lefebvre-Rigoche, qui à peine majeur, en 1838, avait réussi à conduire 150 hommes dans une insurrection armée contre le plus puissant Empire de l'époque et fut indirectement la cause de la mort sur l'échafaud de quatre de ses coparoissiens et de la ruine et de l'exil pour tant d'autres. Montréal, décembre 1953.
Revue d'histoire de l'Amérique française (RHA); no.7 – 1954; pp. 483 – 489.