À l’intersection de la route 104 et du chemin de la Bataille, se dresse une grande croix blanche avec un monument de pierres (un cairn) à son pied. Il s’agit de la croix de chemin à la mémoire du combat du 11 août 1691, à La Prairie.
Cette croix est située sur un lopin de terre faisant partie du lot 489, donné au gouvernement par M. David Daignault, cultivateur, à la condition expresse que le donataire y érige un monument pour commémorer la deuxième bataille de La Prairie et de plus assume l’entretien du lopin et de la clôture qui le borde.
La première croix
Il y avait déjà une croix à cet endroit en 1923, et même bien avant. En effet, le curé Florent Bourgeault de La Prairie avait concerté une bénédiction solennelle de la croix, l’après-midi du 14 septembre 1891, laquelle avait été précédée d’une cérémonie religieuse tenue dans l’église paroissiale de La Prairie en matinée.
Sur la photo retracée dans le fonds Élisée Choquet, on trouve cette note manuscrite : « Croix érigée et bénite le 14 septembre 1891, aux quatre chemins de la Côte Saint-François de Borgia ou la Bataille, en souvenir d’un fait d’armes entre les Français, les Sauvages chrétiens d’un côté et les Anglais et les Sauvages infidèles de l’autre, le 11 août 1691 »
On remarque une couronne, portant l’inscription 11 août 1691 ainsi qu’une petite clôture blanche. Cette belle couronne de fleurs en fer émaillé était un don de la paroisse de Chambly dont le curé, M. Lesage, fit un discours de circonstance lors de l’inauguration. Puis, Joseph Morin, vicaire forain et curé de Saint-Jacques-le-Mineur procéda à la bénédiction proprement dite. Le curé Bourgeault de La Prairie coordonnait la cérémonie. La foule prit ensuite place dans des estrades pour entendre les discours des dignitaires : Joseph-Octave Dion, président du Cercle Saint-Louis de Chambly, Louis-Conrad Pelletier, député fédéral de Laprairie, le docteur Thomas-Auguste Brisson, maire de La Prairie et Florent Bourgeault, curé de la paroisse.
Avait précédé en avant-midi un service funèbre religieux solennel, à la mémoire des victimes du combat de 1691. Solennel est le mot juste puisqu’on assista à une grand-messe avec diacre et sous-diacres, célébrée par le curé de La Prairie en présence dans le choeur d’une douzaine de prêtres, curés de paroisses voisines, vicaires, anciens curés, Sulpiciens, Jésuites et autres.
Dans l’église de La Prairie, se trouvait une grande foule de fidèles dont les Frères de l’Instruction chrétienne et leurs élèves, les élèves du collège Sacré-Coeur rattaché au noviciat des mêmes Frères, les Soeurs de la Congrégation et leurs élèves, les Soeurs de la Providence et leurs orphelines.
La croix des frères Duquette

Le 29 septembre 1960, une seconde croix fut érigée au même endroit en remplacement de la première. Une note manuscrite, à l’endos d’une photo appartenant à Hermance Bisaillon, en fait foi et mentionne les artisans : Adélard, Donat et Émile Duquette.
La croix fut construite dans le hangar de Donat, près de la maison paternelle du chemin de la Bataille Sud, qu’il habitait avec son frère Émile et sa soeur Lia. Les trois sont toujours demeurés célibataires. Donat, cultivateur, fut l’initiateur et le coordonnateur du projet ; il était aussi conseiller municipal et président du conseil d’administration de la Caisse populaire de La Prairie. Il a mis à profit les talents et l’expérience de son frère Adélard, cultivateur, qui habitait alors à l’Acadie avec sa famille. Adélard avait déjà érigé une croix sur le chemin du Clocher en 1939.
Donat a eu recours aux services de son ami Rodolphe Langlois, alors cantonnier, pour transporter et planter la croix sur son emplacement. Plus tard, on l’a vu tirer son convoyeur à grains avec son tracteur jusqu’à la croix, sur une distance d’un kilomètre, afin de pouvoir l’atteindre et la peinturer.
La croix actuelle

La croix actuelle demeure toujours la croix des frères Duquette, mais avec quelques modifications.
L’écusson central est disparu ; il rappelait la couronne de fleurs en fer émaillé de la première croix.
Le coq métallique a cédé sa place à un coq de bois, oeuvre de Patrick Demers, menuisier du chemin de la Bataille Nord. Des embouts taillés en pointe remplacent les anciens, ronds et probablement en métal.
La croix actuelle a joué un rôle important dans la vie de la communauté locale. Plusieurs se souviennent des rassemblements du mois de Marie ou de la neuvaine des cultivateurs, ou d’une visite personnelle de dévotion.
Le caractère exceptionnel de cette croix
La croix commémore la bataille de 1691, un événement historique national ; elle provient de l’initiative de la population locale. Rares sont les croix de cette catégorie encore présentes aujourd’hui.
Ce sont les habitants du rang de la Bataille qui l’ont plantée à cet endroit en 1891 et entretenue par la suite.
Puis les frères Duquette, aussi du même rang, l’ont remplacée par une semblable. Ce serait le seul cas où le peuple lui-même aurait perpétué ainsi un événement historique national pour plus d’un siècle. Au Québec, il n’existe aucune autre croix de chemin populaire, érigée à la mémoire d’un événement national historique, qui bénéficie d’une si longue tradition.
Références
Rapport de recherche du même titre et du même auteur, avec illustrations et sources, 27 pages, disponibles à la SHLM pour consultation
Crédits photos :
Croix de 1891 : BanQ P60, S3, D100
Croix de 1960 : collection Hermance Bisaillon
Croix actuelle : Jean Joly 2009