Quoique la signature de l’acte de capitulation des troupes françaises au Canada ne se fasse que le 7 septembre 1760 au château du gouverneur Vaudreuil à Montréal, la décision, elle, a été prise quelques jours plus tôt en conséquence d’importants et de dramatiques événements survenus à La Prairie-de-la-Magdeleine.
Malheureusement, à la suite de leur grande victoire décisive du 28 avril 1760 à Sainte-Foy, vengeant ainsi la défaite des Plaines d’Abraham de l’année précédente, les troupes françaises du général François Gaston de Lévis n’ont eu d’autres choix que de lever le siège devant les remparts de Québec et de retraiter en bon ordre vers leurs quartiers situés au cœur de la Nouvelle-France, dans la grande région de Montréal.
En partant pour Montréal, Lévis laisse derrière lui plusieurs soldats et officiers blessés à l’hôpital général de Québec. Quelques jours plus tard, en visite à l’hôpital, le général James Murray offre le dîner à deux capitaines français, soit Malartic du régiment de Béarn, et Bellecombe du Royal-Roussillon.
Dans une conversation subséquente, Murray demande à Guillaume Léonard de Bellecombe quelle serait la réaction des Français s’il offrait de bonnes conditions pour une capitulation immé-diate ? Bellecombe répond poliment : « si vous voulez le reste du Canada, vous devrez vous battre pour l’obtenir ! ».
L’effort de guerre requis pour nourrir, transporter et armer les troupes comprenant une force de 3 950 soldats français, 2 750 de la Marine et miliciens canadiens ainsi que les 270 guerriers des Sept-Nations Les 7 Nations alliées aux Français comprennent les Hurons-Wendat de Lorette, les Outaouais de Michilimakinac, les Abénakis de Saint-François et Bécancour, les Algonquins, les Agniers et les Nipissings d’Oka/Kanesetake, les Agniers d’Akwesasne, les Agniers d’Oswegatchie (Iroquois Onondagas de La Galette) ainsi que les Agniers (Mohawks) de Kahnawa:ke commandés par leur chef de guerre Atiatonharongwen.est colossal pour une petite colonie qui manque maintenant de tout.
Levant le siège devant Québec deux semaines après sa victoire à Ste-Foy, tout en ayant infligé d’énormes pertes aux troupes du général Murray, le chevalier de Lévis a maintenant la lourde tâche de préparer sa petite armée à une tâche surhumaine. Elle doit résister à une incomparable offensive de trois grandes armées anglaises d’environ 18 à 20 000 hommes au total, arrivant simultanément de trois directions à la fois.
En effet, l’armée du commandant-en-chef, le général Jeffery Amherst, arriverait à Montréal à partir des Grands Lacs, descendant le St-Laurent avec 5 586 soldats réguliers, 4 479 soldats coloniaux des provinces de New York, du New Jersey et du Connecticut ainsi que 706 guerriers Haudenosaunee (Iroquois de la Ligue des Cinq-Nations).
L’armée du général de brigade William Haviland arriverait du sud via le lac Champlain avec mission de réduire la forteresse française de l’Île-aux-Noix et de s’emparer des forts Saint-Jean Chambly. Venant de Québec au nord, les restants de l’armée du général Murray, suivi par des renforts de Louisbourg et d’ailleurs, convergeraient avec les autres armées en remontant le fleuve Saint-Laurent sur quelques puissants navires de guerre anglais.Le général Murray laisse 1 700 soldats en garnison à Québec et avance avec 2 500 troupes qui s’embarquent dans les frégates de sa Majesté, Diana et Penzance, en plus de leurs neuf batteries flottantes, 33 transports de troupes et une suite de 22 embarcations à fond plat.
Promu nouveau maréchal de camp, le chevalier de Lévis, sans se faire d’illusions, est un éternel optimiste, et dans sa lettre à Nicolas René Berryer, ministre de la Marine et des colonies, il affirme avoir une stratégie pour sauver la colonie : « Si nos ennemis ne coordonnent pas leurs mouvements, nous allons attaquer la première armée qui se présentera. Ceci est la seule chance qu’il nous reste… »Lévis à Berryer, 28 juin 1760. (LAC, MG18-K8, vol. 11, F, 404, rouleau C-365)..
Mais l’avance des trois corps d’armée anglais a été méthodique, bien coordonnée, et elle submerge les défenses françaises. Déjà, à la fin août, Murray est à Varennes, Amherst descend les derniers rapides du Saint-Laurent dans la région des Cèdres avant d’accoster à L’Île-Perrot. Au même moment, les canonniers-bombardiers du général Haviland terminent le bombardement et la destruction des défenses de la forteresse de l’Île-aux-Noix. Haviland se prépare maintenant à une avance rapide en direction du fort français situé à Saint-Jean-sur-Richelieu.
Le 29 août, le commandant en second de l’armée de terre, le général François-Charles de Bourlamaque, ordonne au général de brigade Jean-Georges Dejean de Roquemaure, qui est à la tête d’une troupe de 1,403 soldats et miliciens à St-Jean, de détruire ce fort et de « se replier le soir même à La Prairie ». Une semaine plus tôt (le 21 août), Roquemaure, sans comprendre pourquoi, n’a pas su convaincre ses 474 guerriers des Sept-Nations à le suivre pour lever le siège de la forteresse de l’Île-aux-Noix et participer, selon la stratégie du général Lévis, à l’attaque et la destruction de l’armée de Haviland.
Le 1er septembre 1760, réunies en catastrophe dans les environs de La PrairieLa réunion des « Sauvages » à La Prairie a toujours lieu au bord du Saint-Laurent près de l’embouchure de la rivière de la Tortue. Cet endroit est près de la résidence de Luc de La Corne « dit de St-Luc », capitaine de cavalerie et des « Sauvages ». (Nous croyons que cette maison existe toujours… ce serait la maison Melanson au bord du fleuve à Candiac).
, les troupes qui s’étaient couvertes de gloire deux ans plus tôt (1758) lors de la bataille de Carillon (Ticonderoga) et au printemps 1760 lors de la bataille de Sainte-Foy, n’en peuvent plus et leurs « Sauvages » encore moins ! Le moral des troupes est au plus bas, ce qui précipite l’arrivée du Chevalier de Lévis à La Prairie-de-la-Magdeleine. Celui-ci a encore l’ambition illusoire d’organiser une grande contre-offensive.
Le 2 septembre, le général de brigade Roquemaure est présent à La Prairie avec Lévis et ses officiers, et il nous relate que : « Monsieur le Chevalier de Lévis ayant convoqué tous les sauvages à La Prairie pour les porter à le seconder dans son dessein, pendant qu’il les haranguoit, il vint un député (Saoten) de leur village leur annoncer que la paix étoit faite entre eux et les Anglois… Dans ce moment, ils se dispersèrent et laissèrent Monsieur le chevalier de Lévis tout seul avec ses officiers… »Ouiharalihte, un jeune guerrier Huron-Wendat nous relate que les Sept-Nations alliées aux Français, en négociations secrètes à Oswegatchie depuis plusieurs semaines, ont obtenus le statut de neutralité pour eux-mêmes. Maintenant, ils sont en paix avec les « British » et leurs alliés des Cinq-Nations Haudenosaunee (Iroquois) qui ont activement participé aux négociations.
Donc, c’est à La Prairie-de-la-Magdeleine, à ce moment très précis, que la dure réalité sonne le glas pour la stratégie militaire du Chevalier de Lévis, le commandant des armées de terre en Amérique ! Roquemaure nous relate la suite et fin des délibérations de ce conseil de guerre : « … Lévis prit la résolution de faire replier sur l’île de Montréal tous les corps (d’armée) qui étoient au sud, ce qui fut exécuté avec beaucoup d’ordre le lendemain matin.».
Le 3 septembre au matin, toutes les troupes régulières françaises quittent La Prairie et Longueuil et se replient sur Montréal. Par contre, les miliciens canadiens et certaines troupes locales de la Marine, comme leurs alliés « Sauvages » avant eux, ont bien compris que cette guerre est maintenant terminée et ils décident, d’un commun accord, de rester sur la rive « au sud ».
Entre temps, étant maintenant au cœur du pays ennemi, l’armée britannique fait savoir par les déclarations de ses principaux généraux qu’elle offre le statut de citoyen non combattant à tous ceux qui déposeraient leurs armes et prendre le serment d’allégeance à la couronne britannique : miliciens, compagnies de la Marine et soldats réguliers mariés et propriétaires en terre d’Amérique. Les maisons et bâtiments des gens du pays qui résisteraient encore à l’avance de l’armée anglaise seraient brûlés.
Le 4 septembre, un bataillon comptant plus de 400 miliciens de la région de La Prairie, pensant en premier lieu à leurs familles, mais certainement avec la mort dans l’âme, se rendent à Varennes pour déposer leurs armes devant le général James Murray. Ce général de brigade anglais est le même homme qui commandait à Québec quand, seulement quatre mois plus tôt, ces glorieux habitants « Canadiens de Montréal » ont contribué de façon importante à la défaite de son armée lors de cette fameuse bataille de Sainte-Foy Ces habitants miliciens, les glorieux « Canadiens de Montréal » n’ont pas pu, à partir de leur position, se rendre à temps l’année précédente pour combattre sur les Plaines d’Abraham, mais ils ont joué un rôle crucial lors de la bataille de Sainte-Foy. Selon le gouverneur Vaudreuil : « Monsieur Legardeur de Repentigny commandait ce bataillon de réserve de la milice qui occupa le centre du champ de bataille de l’armée française avec des éléments des compagnies de la Marine. Repentigny mit un frein à l’avance rapide du centre de l’armée anglaise et les força à retourner à leur position de départ. Il repoussa également deux tentatives de l’aile droite de l’armée anglaise qui tentait de le déloger de sa position… ce bataillon était le seul à ne jamais concéder un seul pouce de terrain à l’ennemi… » — Vaudreuil à Berryer, 3 mai, 1760. . Désormais, après sept ans de guerre, il faut penser à sa famille et enfin vivre en paix.
Le 5 septembre, les troupes du général Amherst sont à Sainte-Geneviève dans l’ouest de l’île de Montréal et ceux du général Murray mettent pied sur l’Île dans l’est, à Pointe-aux-Trembles.
Le 6 septembre au soir, le gouverneur de la Nouvelle-France, Pierre de Rigaud, Marquis de Vaudreuil, convoque chez lui les principaux officiers des troupes de terres et de la Marine pour un dernier conseil de guerre. L’armée française n’ayant maintenant que 2500 à 3000 hommes, Vaudreuil pense que : « L’intérêt général de la colonie exigeoit que les choses ne fussent pas poussées à la dernière extrémité, et qu’il convenoit de préférer une capitulation avantageuse aux peuples et honorables aux troupes ».
Le 7 septembre à 6 heures, le colonel Louis-Antoine de Bougainville, qui parle anglais, se rend, à la demande du gouverneur, chez le général Amherst pour ratifier les 55 articles du texte de la capitulation.
Le 8 septembre 1760 à 8 heures le matin, Montréal passe officiellement sous contrôle britannique.
En conclusion, la fin abrupte des alliances avec nos « Sauvages » à La Prairie-de-la-Magdeleine le 2 septembre 1760, ainsi que le retrait subséquent des hostilités de la part des milices canadiennes deux jours plus tard, mènent à l’inévitable aboutissement de ce conflit militaire en Amérique. Également, ces événements dramatiques qui ont eu lieu à La Prairie ont le mérite d’avoir évité de nombreuses et inutiles pertes de vie, de part et d’autre, en permettant une fin hâtive et ordonnée à cette longue guerre en Nouvelle-France. Ce texte s’est, entre autres, librement inspiré des nombreuses découvertes de Peter MacLeod, directeur de la recherche du Musée de la Guerre du Canada, auteur de plusieurs œuvres d’histoire militaire coloniale dont le Backs to the Wall — The Battle of Sainte-Foy.