N.D.L.R. Certains propos contenus dans ce texte sont inspirés du livre « La destruction des Indiens des plaines » par James Daschuk.
Les premiers chapeaux connus seraient apparus au cours de l’Antiquité en Égypte où divers types de coiffures étaient utilisées. À travers les âges, le chapeau, qui prit des formes très variées, fut tour à tour vêtement, instrument de protection contre les coups, le froid, la pluie ou l’insolation, objet d’apparat ou encore symbole d’une fonction ou de l’appartenance à une organisation.
Au début du 17e siècle, le chapeau en feutre de castor était à la mode en Europe et la demande était forte. Extrêmement prisé, il était aussi, selon sa forme, une indication du statut social et de l’occupation de la personne qui le portait. C’est ainsi que durant deux siècles, de la moitié du 17e siècle à la moitié du 19e siècle, les chapeaux de castor demeurèrent en vogue et constituèrent un élément important de la tenue vestimentaire des hommes dans une grande partie de l’Europe.
Or, exploité de façon abusive, le castor avait pratiquement disparu en Europe à la fin du 17e siècle. Avec la naissance de nouvelles colonies en Amérique du Nord (Nouvelle-France, Nouvelle-Angleterre et Nouvelle-Hollande) l’industrie florissante de la chapellerie européenne eut accès à une nouvelle et abondante source d’approvisionnement. Le commerce de la fourrure y fit rapidement son apparition avec toutes les conséquences que cela allait entraîner.
D’ailleurs, dès la première moitié du 17e siècle, les Français, nouveaux venus, établissent des postes de traite le long du Saint-Laurent et dans les Pays d’en-haut (la région des Grands Lacs). Pour réussir dans le commerce des fourrures, ils concluent des alliances à la fois militaires et commerciales avec des groupes nomades des pays du Nord : Algonquins, Outaouais, Hurons et Montagnais. On peut même affirmer qu’avant l’arrivée en 1665 de l’intendant Talon on ne fonde pas ici des villages, mais plutôt des postes de traite. Or, la France n’est pas seule en Amérique, au cours de ce même siècle elle dispute à l’Angleterre et à la Hollande les profits liés au lucratif commerce de la fourrure.

Les relations des Européens avec les autochtones mal amorcées à cause de la quête des fourrures, les Iroquois de la vallée de la Mohawk, alliés aux Hollandais et armés par ces derniers, s’en prennent aux colons venus de France et à leurs alliés amérindiens. Les raids se multiplient jusqu’à la Grande Paix de 1701.
D’autre part, les Anglais fondent en 1670 la Compagnie de la Baie d’Hudson qui, à la recherche des peaux de castor, a pour mandat principal d’explorer et de mettre en valeur de nouveaux territoires. Avec la révocation de l’Édit de NantesCet édit, promulgué en avril 1598, accordait notamment des droits de culte, des droits civils et des droits politiques aux protestants qui étaient nombreux en France. en 1685, plusieurs milliers de chapeliers émigrent de France vers l’Angleterre qui devient le principal centre de production des chapeaux de castor. D’où l’appétit vorace des actionnaires de la CBH pour de nouveaux territoires de capture. Qui plus est, avec le traité d’Utrecht en 1713, les comptoirs commerciaux des Français établis au pourtour de la Baie d’Hudson et l’accès à l’intérieur des terres de l’ouest passent aux mains de la CBH.

La Prairie
À cause de sa position géographique, La Prairie participera de façon marquée au commerce des fourrures que ce soit de façon illégale ou encore en fournissant son lot d’engagés. D’abord concentré dans les Pays d’en-haut, grâce aux expéditions de La Vérendrye, après 1731 le territoire de la traite s’élargit vers l’ouest et encore davantage avec la multiplication des postes de la CBH au cours du siècle qui suivit.
Selon l’historien Louis Lavallée, dont l’étude se limite au Régime français, « presque toutes les familles de La Prairie ont, un jour ou l’autre, envoyé un de leurs fils aux Pays d’en-haut ». Célibataires, « ce sont de solides gaillards recrutés pour leur résistance et leur robustesse […] ce sont presque tous de parfaits analphabètes qui manient mieux l’aviron que la plume. »
Lorsque le commerce des fourrures passa aux mains des marchands anglais de Montréal, il n’y a pas à douter que La Prairie ait continué à fournir une abondante main-d’œuvre pour assurer les expéditions de traite vers l’ouest du pays.
Le côté sombre de la traite
Avant l’arrivée des Européens, les Amérindiens s’affrontaient surtout pour des territoires de chasse et pour l’adoption de prisonniers. « Grâce à leurs techniques de chasse au bison qui préservent les routes des hardes (l’abondance et la persistance du bison leur garantissent une alimentation d’excellente qualité) et à leurs stratégies de protection du castor (qui par ses barrages stabilise les ressources en eau) les Chasseurs des plaines de l’ouest assurent la pérennité de leurs approvisionnements en nourriture et en eau. »La destruction des Indiens des plaines. Page 43
Malgré la maladie, les infections et les épisodes de malnutrition, les communautés autochtones avaient donc, avant l’arrivée des engagés de la traite et des colons européens, réussi à survivre dans un milieu relativement hostile.
La traite des fourrures allait bouleverser cet équilibre de façon considérable. À la fin du 18e siècle, le flot croissant d’alcool concédé par les traiteurs de Montréal en échange des fourrures s’accompagne d’une augmentation marquée du nombre de maladies vénériennes mortelles à cause de la multiplication des relations sexuelles entre les employés de la Compagnie de la Baie d’Hudson et les femmes autochtones. Le flot d’alcool, souvent à double distillation, déchaîne alcoolisme et violence chez les Amérindiens qui en réclament davantage avec pour effet la dégradation de leur tissu social.
Afin d’obtenir davantage d’alcool, certaines tribus cherchent à élargir leur territoire pour augmenter leur approvisionnement en pelleteries. Il en résulte de nombreux affrontements intertribaux. De plus, à cause de la
forte concurrence, les traiteurs rivaux s’agressent les uns les autres et exercent d’énormes pressions sur les Amérindiens qui refusent leurs conditions d’échange, avec en retour une hostilité croissante des Autochtones à l’égard des traiteurs et la multiplication des conflits.
Lorsque les premiers Européens foulèrent le sol de l’Amérique, ils apportèrent des maladies pour lesquelles leurs organismes étaient en partie immunisés. D’ailleurs, d’importantes épidémies sévirent à plusieurs reprises en Nouvelle-France. Les populations autochtones n’ayant jamais été touchées par ces infections, leurs organismes n’étaient en rien prêts à les combattre. La maîtrise du cheval par les Amérindiens et l’ouverture de l’ouest au commerce des fourrures (les traiteurs avec leurs virus), furent les vecteurs de grandes épidémies.
Au contact des traiteurs venus de l’Est, les épidémies de maladies infectieuses décimèrent les populations autochtones à plusieurs reprises : variole, rougeole, coqueluche, grippe, scarlatine, dysenterie, tuberculose. « Selon une étude scientifique récente, la lignée des souches tuberculeuses originaires du Québec aurait été propagée par les Canadiens français pendant la période du commerce de la fourrure et persiste jusqu’en ce 21e siècle dans certaines collectivités autochtones isolées. »La destruction des Indiens des plaines. Page 127 La chasse excessive pratiquée à la fois par les autochtones et les traiteurs contribue à la rareté de la nourriture. La faim accroît les ravages des maladies, dans un état physique déplorable les chasseurs n’arrivent plus à capturer le gibier.
Vers 1820, dans plusieurs régions des plaines le castor est quasiment introuvable et certains gros animaux comme l’orignal, le caribou et le bison ont presque disparu. Cela provoque d’importantes migrations des populations et le bouleversement de leur mode de vie ancestral.
De plus, dans la seconde moitié du 19e siècle, la traite devenue moins lucrative, la chasse excessive du bison, nourriture de base des collectivités autochtones, mènera à l’extinction quasi complète des hardes. Le gibier se faisant de plus en plus rare, chez les populations ravagées par la malnutrition des essais de réorientation vers l’agriculture auront peu de succès.
On aura même recours à la famine pour forcer les Amérindiens à signer des traités et à les confiner dans des réserves en échange de nourriture. Ce confinement facilitera l’invasion des colons blancs ainsi que la construction du chemin de fer vers le Pacifique.
Avec la création de la Confédération en 1867, l’Ouest canadien s’est ouvert à la colonisation massive et est devenu dans les décennies qui suivirent le domicile de millions d’immigrants européens à la recherche d’une vie nouvelle. Ce boom d’immigration a contribué à exercer une contrainte supplémentaire sur les nations amérindiennes déjà appauvries, victimes de malnutrition et passablement décimées. Par ailleurs, désireux de développer rapidement cet immense territoire, le gouvernement du Dominion se montra plutôt indifférent au triste sort des autochtones.
La seconde moitié du 19e siècle voit donc, dans l’Ouest, l’abandon graduel de la traite des fourrures au profit de l’agriculture. En 1900, les effectifs des différentes tribus des plaines de l’ouest se sont considérablement effondrés. Les modes de vie traditionnels et les gouvernements tribaux risquent de disparaître à jamais.
Suivront au cours du 20e siècle les tentatives d’assimilation à travers les pensionnats dirigés par des communautés religieuses. Le sort actuel des premières nations n’est guère plus reluisant : manque de logements adéquats, alcoolisme, toxicomanie, désœuvrement, violences familiales, agressions et meurtres. Malgré de timides efforts de réconciliation, avec en arrière-fond le laxisme des autorités gouvernementales, les plaies demeurent vives et la situation ne s’améliore guère.
C’est ainsi que dans l’Ouest du pays, l’appât du gain lié à la traite de fourrures a contribué durant plus de deux siècles à la décimation de populations amérindiennes dotées d’un mode de vie rudimentaire et qui ne pouvaient en aucune façon résister aux multiples infections épidémiques apportées d’Europe ni contrer la cupidité insatiable des traiteurs venus de l’Est au service de la puissante Compagnie de la Baie d’Hudson. Tout cela sans exclure le rôle joué par d’autres entreprises commerciales.
Il faudra encore beaucoup de temps, d’efforts et de réelle volonté politique pour que s’estompent et se cicatrisent les maux affligés aux Amérindiens à cause de la quête des fourrures. Tout cela pour satisfaire aux exigences vestimentaires d’une bourgeoisie européenne soucieuse de son apparence.
Maudit chapeau de castor.