Le dernier forgeron à La Prairie

Depuis l’âge des métaux le forgeron a toujours fasciné autant par sa force physique parfois exceptionnelle, que par sa connaissance de la secrète et mystérieuse alchimie du fer et du feu.

Au Québec le forgeron de village, issu d’une longue tradition, est devenu avec les siècles un personnage légendaire qui a inspiré peintres, conteurs et écrivains. Hélàs, la fabrication industrielle de nombreux objets métalliques, la multiplication des automobiles après 1950 et l’apparition de machines-outils fort complexes ont opéré chez nous la lente mais certaine disparition de ce beau métier.

Les hommes et leur art n’y sont plus, mais le personnage nous habite toujours; grand, fort, mi-sérieux mi-taquin et un peu secret. Ainsi en fut-il de Charles-Auguste Bouthillier, dernier forgeron de LaPrairie, décédé le 12 octobre 1982 à l’âge de 84 ans et 6 mois. Voici donc dans les lignes qui suivent le bref récit d’une vie qui allait pendant près d’un demi siècle inspirer au soufflet de l’histoire la mémoire de l’homme et du geste.

Il naquit rue Saint-Ignace le 14 avril 1898 dans ce qu’on appelait le faubourg à “m’lasse”, quartier très achalandé dans le LaPrairie de l’époque. Dernier né; quatre garçons et quatre filles l’avaient déjà précédé auprès de leurs parents Moise Bouthillier et Catherine Barrette.

À l’âge de six ans il fait son entrée à l’Académie St-Joseph qu’il fréquentera pendant sept ans. Un emploi assez rémunérateur à la Laprairie Brick l'amène alors à abandonner les études. Après quelques mois il quitte la briqueterie pour un séjour de courte durée à la fonderie Dussault rue St-Ignace. A l'automne 1915, nouveau changement, il se retrouve comme aide dans la forge chez Peter Lyall à Montréal-ouest, et après une interruption de plus d'un an dûe à la guerre, il passera en 1918 chez Hamel à Verdun afin d'y apprendre cette fois-ci pendant quatre mois le vrai métier de forgeron.

Il s'établira enfin à LaPrairie en janvier 1922 après un séjour de vingt mois chez Henri Lapalme forgeron à Delson.

D'abord associé à Adolphe Gingras; les deux compagnons ouvrent une boutique de forge sur le terrain d’Israel Longtin, rue du Boulevard, là où est situé aujourd'hui le commerce de bois de Marcel Oligny. Après cinq mois de cette association Charles Bouthillier achète la part de Gingras et devient l'unique propriétaire de la forge.

Il allait ainsi pendant plus de quarante-cinq ans avec sa seule enclume comme figure de proue, naviguer sur le dur métier de forgeron. Fers à chevaux, pinces à briques, rampes d'escaliers et balustrades de balcons, réparations de voitures diverses, bandages de roues etc… tout cela se succéderait au feu dont lui seul avait l'habitude.

Il a donc pratiqué la maréchalerie, la taillanderie et le charronnage, en même temps que la forge en général. Les tâches qu'il pouvait accomplir et les objets qu'il pouvait fabriquer dans une journée étaient donc des plus variés. Son souci premier était de satisfaire le client en réparant ou en fabriquant complètement la pièce nécessaire; pour ce faire l'habileté manuelle, la connaissance des températures et l'esprit inventif s'imposaient. Qu'on ajoute à cela une habileté particulière pour amadouer les chevaux les plus récalcitrants.

Un client quadrupède qui attend qu’on le chausse à neuf.

Ayant déjà compris qu'il faut battre le fer quand il est chaud, il épouse en 1923 Marthe Raquépas. Celle-ci donnera successivement naissance à huit enfants dont des jumelles et des triplées (une seule de ces dernières survivra). Quelques années plus tard il entreprend la construction de la boutique actuelle et le pavage de la cour.

Hélàs vers 1950-55 la demande n'est plus la même et le métier se transforme pour les raisons citées au début de ce texte; la soudure prend vite la place des travaux usuels. Il en va ainsi jusqu'en juillet 1967 époque à laquelle M. Bouthillier doit à regret abandonner sa forge après avoir été terrassé par une crise cardiaque,

Quinze années suivront à turluter et à taquiner le poisson et les membres de la famille. Mais un jour de l'automne 1982 la braise des souvenirs devait se refroidir à jamais; Dieu rappelait vers lui le fils de Vulcain.

Adieu donc et merci M. Bouthillier !

Avec la précieuse collaboration de Mme Alice Bouthillier.

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