La bataille de La Prairie – 1691 Les bombes exploseront-elles au-dessus de La Prairie ?

Lors de son expédition de l’été 1691, avec comme but ultime la conquête de Montréal, Pieter Schuyler et son armée étaient équipés d’une nouvelle pièce d’artillerie légère : le mortier de campagne. Son armée avait démonté de sa base cette arme redoutable et l’avait transportée d’Albany, N.Y. vers le nord, via les lacs St-Sacrement (George) et Champlain, et ceci à bord d’un petit radeau tiré par des rabaskas ! 

Ensuite, transportant sur leurs épaules ce poids de plus de 100 kilos, les hommes continuèrent à pied sur le sentier du vieux fort Saint-Jean jusqu’à deux miles de La Prairie. Ayant avec lui cette arme de siège dévastatrice, la capitulation de Montréal était effectivement envisagée et même réalisable pour le major Schuyler, mais ses toutes premières cibles devaient être les forts de La Prairie et de Chambly, qu’il croyait défendus uniquement par de petites garnisons de soldats de la Marine.

Plus petit et plus mobile qu’un canon, le mortier de campagne pouvait effectuer des tirs de projectiles, « bombes » ou « grenades », contre des objectifs masqués lors d’un siège, par un tir courbe par-dessus les fortifications pour atteindre les défenseurs, jusque-là abrités. Avancée technologique européenne créé quelques années plus tôt au XVIIe siècle, le canon-mortier allait enfin faire son entrée en Amérique du Nord, et la réputation destructrice de cet engin de guerre n’était pas à refaire.

D’ailleurs, le 14 avril de l’année précédente, Robert Livingston, premier secrétaire des Affaires indiennes de la province de 
New York, informait son gouverneur d’alors, Monsieur Edmund Andros que : « ses espions racontaient que des troupes françaises allaient attaquer Albany ce printemps et qu’ils avaient, entre autres (…) douze mortiers légers ». Ces nouvelles, disait Livingston, « font le tour de New York, de la Virginie, du Connecticut et de Boston en suscitant la panique générale. En conséquence, les femmes se réfugiaient du côté de New York, et la population de la région d’Albany abandonnait ses terres ». Heureusement pour eux, cette rumeur s’est révélée fausse !

Par contre, en 1691, autant Monsieur le comte de Frontenac que Louis-Hector de Callières, le gouverneur militaire de Montréal, nous confirmaient dans leurs correspondances que le major Schuyler et son armée avaient eu la ferme intention de faire usage de mortiers à La Prairie : « l’autre party tant anglois qu’iroquois commandé par le maire d’Orange (Albany), qui venait par le chemin de La Prairie de la Magdeleine avec des grenades (bombes) dans le dessein d’entreprendre sur quelques-uns des forts de mon gouvernement… ».

En effet, tôt le matin du 10 août 1691, un Pieter Schuyler hésitant se préparait à attaquer soit le fort Chambly ou celui de La Prairie. Le lendemain, il se retrouvait à deux miles de son premier objectif, le village palissadé de La Prairie : « Nous avons décidé d’attaquer le fort à l’aube. Après nos prières du matin nous avons marché vers Laprarie (sic), et à une distance d’un mile avant d’y être (one mile on this side) nous sommes arrêtés pour déposer nos bagages (sac à dos, etc.)… » Une distance de « one mile » (1,6 km) est également, selon les experts militaires consultés aux forts Niagara et Ticonderoga, la distance idéale pour le tir du mortier de campagne.

Or, il faut également savoir que le mortier restait une arme maniée par des spécialistes, car l’usage de celle-ci nécessitait un double allumage difficile et très dangereux ; le projectile explosif puis la grosse charge propulsive, en plus  de savants calculs pour la trajectoire. Cette information nous confirme, sans aucun doute, la présence au printemps 1691 des soldats et surtout des artificiers de « Her Majesty’s Second Company of Foot ». Celle-ci avait accompagné, quelques mois plus tôt, le nouveau gouverneur de New York, Monsieur Henry Sloughter, lors de sa traversée de l’Atlantique.

Cette formation de plus de 200 soldats réguliers, dit « fusileers », était également au grand rassemblement de juin à Albany, en présence des alliés iroquois et du gouverneur Sloughter avant de se joindre au regroupement de la petite armée de Pieter Schuyler le 25 juin 1691 – (Calendrier Julien). La milice d’Albany n’avait jamais eu en sa possession cette arme, et elle n’avait sûrement pas eu l’occasion de l’utiliser auparavant. Et, de toutes évidences, elle n’avait la compétence ni pour la préparation des multiples mèches et des poudres à canon ni, dans son ensemble, pour le maniement de cette pièce d’artillerie très sophistiquée.

Nous savons qu’en cas d’attaques ou de raids dans la région de Montréal, à la fin du 17e siècle, de petits canons étaient utilisés comme moyen de communication entre les forts afin d’alerter l’unité d’élite de la Marine située à Montréal : les « mousquetaires ». Le boulet de canon n’était pas toujours nécessaire, mais la poudre à canon était un ingrédient indispensable. Les coups de canon annonçaient l’arrivée de l’ennemi ou d’une attaque-surprise des Iroquois. Un exemple bien connu : l’attaque iroquoise qui eut lieu dans la seigneurie de Verchères en octobre 1692, quand la jeune Madeleine Jarret dite de Verchères avait tiré du canon de l’intérieur de son fortin, non pas sur l’ennemi, mais en direction de Boucherville et de Montréal afin de signaler l’attaque, et de réclamer qu’un renfort de troupes soit dépêché à leur secours.

À l’aube, le 11 août 1691, les habitants de la seigneurie de La Prairie, ces jeunes familles pionnières qui dormaient à l’intérieur du fort, n’ont pas été surpris dans leur sommeil par l’explosion de bombes incendiaires. La guerre moderne, avec ses tirs de mortiers, ces tirs courbes en altitude, qui semaient la mort et la destruction à l’intérieur de l’enceinte d’un fort, les avaient heureusement épargnés ce jour-là. Cette situation était le résultat d’une importante planification stratégique de la part du gouverneur militaire de la région de Montréal. Monsieur de Callières avait effectivement réussi à attirer l’ennemi dans un grand « guet-apens » tout en repoussant l’attaque sur La Prairie avant même que l’envahisseur ne puisse faire usage de son artillerie.

Mais le mystère demeure entier sur cette question : Callières savait-il à ce moment précis si l’ennemi préparait un ou plusieurs mortiers à la portée de tir du fort La Prairie ? Qu’importe, les Iroquois et les troupes de Pieter Schuyler, après un court échange de coups de feu devant le fort, se sont retirés dans la « grande ravine » et ont battu en retraite avec tellement de célérité, « with all haste », qu’ils ont même, selon Charlevoix, abandonné sur place leur canon-mortier, et ce, sans avoir tiré un seul coup ! 

Se rendant compte de son impardonnable erreur, le major Schuyler avait ordonné la retraite de ses troupes avec peu d’espoir que ses prières du matin soient exaucées. Il fut ultimement défait « à mi-chemin » entre les deux forts par des troupes d’élite de la Marine sous les ordres du valeureux commandant de bataillon Philippe Clément du Vuault sieur de Valrennes, qui l’attendait sur « un coteau » derrière une « barricade et des abatis ». Donc, celui qui croyait surprendre a été surpris !   

En conclusion, non… il n’y a pas eu d’éclatements de bombes sur La Prairie le 11 août 1691, aucun habitant n’y a perdu la vie, et encore moins à Montréal grâce à la vigilance du gouverneur de Callières et du courage et de la discipline de son armée ! Selon Robert Livingston, après La Prairie, la mission de l’envahisseur était bien d’attaquer Montréal… « Mont Reall where they had their designe ».

Également, le laborieux transport de ce lourd mortier en fonte ainsi que ses « grenades », surtout de nuit et face à des vents contraires sur les lacs St-Sacrement (lake George) et Champlain, était assurément une des principales raisons expliquant le fait que le major Schuyler avait pris 37 jours pour se rendre jusqu’à La Prairie, et qu’il ne prit que neuf jours après sa défaite et l’abandon de son mortier (ou de ses mortiers) pour réaliser le long retour jusqu’à son point de départ… Albany, N.Y.

Petit aparté 

Selon certains documents de l’amirauté de La Rochelle,nous apprenons qu’au fort Chambly il y avait un certain « Jean Beau (LeBeau) dit l’Alouette » (ancêtre de l’auteur) qui était spécialiste des poudres à canon. Jean Beau fut, pendant plusieurs années, « ingénieur du canonnier » sur les navires de Sa Majesté Louis XIV, avant d’obtenir permission de quitter son navire au port de Québec. LeBeau, n’ayant peur de rien, était allé s’établir avec la belle Étienette Loret, la plus jolie des Filles du roi, à un endroit des plus dangereux en 1673 : la seigneurie du capitaine Jacques de Chambly. Selon certains commentaires de l’historien Charlevoix au sujet des forts et des avant-postes de la Nouvelle-France, nous savons que : « ce qui fait la sûreté de Montréal, ce sont les forts de Chambly et de La Prairie » !

Jean Beau connaissait bien la recette pour la poudre à fusil (mousquet) et surtout la délicate technique de préparation de la poudre pour les canons du fort Chambly ainsi que pour d’autres forts et places fortes, comme La Prairie. En voici les éléments de base… 

• 73 % – Salpêtre (nitrate de potassium)

• 15 % – Charbon de bois (aulne)

• 10 % – Soufre (importé d’Europe)

• 1 à 2 % – Graphite (pour la résistance à l’humidité)

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